INTERVIEW :
Propos recueillis par : Benoit Collin
Photos : Nicolah Martin
le dimanche 20 septembre 2009 - 9 480 vues
Il aura fallu 10 ans pour réentendre Brahim. Après un premier opus salué par le milieu, "Dans quel monde on vit" en 2000, l’artiste originaire de Tours est revenu seulement cette année avec un nouveau projet.
Les épreuves, la galère, ne l’ont pas désabusé. Au contraire, il est déterminé à suivre imperturbablement sa route, et uniquement la sienne : « j’essaie de ne ressembler à personne, d’avoir mon son et mes mots ». Et toujours sur la route, donc. « Je suis un nomade, c’est comme ça que je vois la vie », nous confie-t-il. Et d’ailleurs, c’est dans une gare qu’il nous donne rendez-vous.
Reggaefrance / Tu as fait tes classes en sound system, avec le Wadada Sound entre 1989 et 1995. Quels souvenirs en gardes-tu ? / C’était une bonne époque, là où j’ai tout appris sur le tas. C’était aussi le début du raggamuffin en France, qui commençait à se développer. Et comme dans tout milieu, quand ça commence, c’est toujours un âge d’or : c’est nouveau, frais, excitant… Même si on n’avait pas de tunes, qu’on était dans la merde, à galérer… j’en garde de très bons souvenirs.
Musicalement, comment es-tu passé de MC à artiste solo ? Naturellement, puisque j’écrivais déjà des textes avant de bosser avec Wadada. Rentrer dans le groupe m’a permis d’apprendre. Mais j’ai toujours écrit, et à la fin de Wadada, j’ai sorti mon projet solo.
Ce projet c’est "Dans quel monde on vit, qui sort en 2000. Comment s’est monté le projet ? "Ma première maison de disques, c’était Inca Music, un petit label qui avait de l’argent, mais qui n’existe plus. Ca nous a permis d’enregistrer à Jet Star, avec de gros musiciens. Yovo et Giovanni ont réalisé l’album. Ca a été une super expérience, ça m’a permis de jouer, jusqu’à aujourd’hui.
Quand je parle, c’est ma réalité. (...) je n’ai pas la vie d’un Jamaïcain, et lui n’a pas la mienne. L’album avait été très bien reçu… Souvent, les gens me disent combien ils ont aimé cet album. Sur le net, je vois de reprises de J’entends les cris… Ca fait plaisir. C’était un des premiers albums avec des textes construits, parce jusque là, il y a avait un problème de textes dans le reggae et dancehall, c’était un peu folklorique. Et quand c’est le cas, tu ne peux pas aller loin. Même aujourd’hui, c’est encore parfois le problème. Certains textes empêchent d’aller plus loin.
Qu’est-ce que tu penses de la musique jamaïcaine aujourd’hui ? Je ne voudrais pas faire mon vieux, mais j’ai l’impression qu’au lieu d’aller vers le haut, ça évolue dans un sens plus simpliste, et les textes ne sont pas à la hauteur. Aujourd’hui, surtout au niveau de ce qu’on appelle new-roots, il faut qu’il y ait un changement, c’est trop formaté. Il y a du très bon qui sort aussi, les Allemands ne sont peut-être pas des Jamaïcains mais ils ont fait du bon travail. La musique est un peu comme tout dans ce monde : fast-food. Ca formate les choses.
Et en France ? La définition du reggae, c’est un pas en avant, deux pas en arrière (rires). C’est triste à dire, mais c’est comme ça que je le vois. En France, le reggae reste assez folklorique. Pour moi, les textes sont une des clés. Il faut tenir un discours qui nous ressemble, dans notre réalité française. On ne vit pas en Jamaïque. Quand je parle, c’est ma réalité. Je ne suis jamais allé en Jamaïque, c’est pour te dire. Je n’ai pas la vie d’un Jamaïcain, et lui n’a pas la mienne. Beaucoup gens dans les quartiers se reconnaissent dans le rap français. C’est parce que les artistes parlent bien de leur réalité. Il pourrait y avoir plein de gens qui se reconnaissent dans le reggae ou le dancehall français.
Il t’a fallu 10 ans pour sortir ton deuxième album. Que s’est-il passé ? C’était long, compliqué… Cet album aurait du sortir en 2005 à la rigueur. On a eu des problèmes pour le faire, pour le distribuer… On a attendu des promesses de gens qui ne sont jamais venues.
Qu’est-ce qui a changé sur l’album entre-temps ? Est-ce que l’album qui est sorti ressemble à l’album que tu as fait il y a cinq ans ? Non. C’est drôle à dire mais non. Je n’aime pas me saouler. J’aime bien évoluer et changer. Ma base c’est le reggae, j’ai grandi avec cette musique et personne ne va m’apprendre ce que c’est. J’aime bien apporter d’autres choses, comme mes influences soul, une musique que j’écoute autant que le reggae. Si je devais définir mon style ça serait un mix entre Bob Marley, Marvin Gaye, Bounty Killer, Sizzla… C’est un mix de tout ça au bout du compte.
Entre tes deux albums, tu as quand même eu une visibilité sur plusieurs compilations ou riddims… Dis l’heure 2 Ragga, Purple Thing… Décidemment avec Straïka a bien marché aussi. Tout ça a permis que je joue toujours en sound, que je fasse quelques dubplates… que je puisse vivre ma vie en tant qu’artiste.
Est-ce que tu as pensé à abandonner ? J’ai eu des doutes : « toujours sur la route, avec mes peines et mes doutes »… ça veut bien dire ce que ça veut dire. Mais c’est plus fort que moi, je sais rien faire d’autre. J’ai 36 ans et j’ai toujours fait de la musique, j’ai toujours écrit. J’ai la flamme, Dieu merci, et si j’arrêtais la musique, j’ai peur que cette flamme qui m’anime s’éteigne…
La musique c’est aussi un accomplissement personnel ? Bien sûr. Je suis un artiste, j’ai une âme d’artiste. Je le répète souvent, parce que c’est en moi. Si je ne fais pas ça, je suis un homme mort. Je ne cherche pas à être une super star, mais faire ce que j’aime et en vivre, c’est ce qui m’épanouis.
Tu as des artistes qui te servent de modèles ? Moi les artistes que j’aime ont des vies bizarres, c’est surtout des exemples artistiques, après comme ils gèrent leur carrière… Tout ce que je sais c’est que dans la musique, il faut être bien entouré.
Qu’est-ce qui tourne sur tes platines aujourd’hui ? Je suis un gros consommateur de musique, ça veut dire que je peux te mettre un Sizzla, un Jacques Brel, un Al Green, un Capleton bien hardcore, un Marvin Gaye bien lovers… J’écoute beaucoup de musique.
Tu es content du résultat de l’album ? Oui, j’en suis fier. J’ai de bons retour, j’aime quand les gens me disent « ça change ». Pour moi, avoir du mérite c’est qu’on me dise qu’on sent que j’ai envie de faire mon truc. Après on t’aime ou on t’aime pas, mais j’aurais le mérite d’avoir développé mon style, sans essayer de copier untel ou untel.
Maintenant qu’une page est tournée, quels sont tes projets ? J’aimerais bien élaborer un album un peu plus dansant. J’ai déjà plein d’autres morceaux.
Quels conseils tu donnerais à un jeune artiste qui galère ? De rester soi-même, que ça marche ou non. C’est le seul moyen d’être fier quand on se retourne un jour. Si c’est pour réussir et faire de la merde… pour moi c’est pas ça réussir. Réussir c’est s’accomplir.
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