INTERVIEW
Interview et photos : Alexandre Tonus
le dimanche 01 août 2004 - 10 203 vues
Ancien membre du groupe LUST, Lukie D. apparaît aujourd’hui comme l’une des plus belles voix de Jamaïque. Son aisance à chanter aussi bien sur des mélodies reggae que des riddims dancehall a définitivement fait de lui un artiste incontournable. Nous ne pouvions donc rater l’occasion d’échanger quelques mots avec lui, lors de notre voyage au Splash ; Lukie D. n’a malheureusement jamais mis les pieds en France, lui non plus…
Reggaefrance / Lukie D., merci d’avoir accepté de discuter avec nous. C’est vraiment un plaisir pour moi. Tout d’abord, peux-tu te présenter à nous brièvement, te présenter au public français ? Et peux-tu nous dire quand et comment t’est venu le goût pour la musique, quand tu as commencé à chanter ? / En premier lieu, pour tout le monde, c’est Lukie D. et comme vous le savez, je suis un chanteur… Du moins, je suppose que maintenant vous le savez… Et comment j’ai eu le goût pour la musique ? Il y a plein de gens qui disent qu’ils ont commencé la musique et tout ça, mais moi, je suis né dans la musique. Mon grand-père est un membre du Sugar Belly Band, qui est là depuis des années, ma mère chante. Quand j’étais jeune, j’ai dû jouer du piano, de la basse, de la guitare, donc je suis aussi un musicien. C’est comme ça que j’ai vraiment commencé dans le business, en grandissant dans une famille de musiciens. C’est comme ça que j’ai commencé… Puis, il y a eu King Tubby, puis Xterminator et tout ça… C’est comme ça que ça a commencé.
Et quelles étaient tes influences à cette époque ? A cette époque, pour être sincère, et je le suis, j’avais l’habitude d’écouter du r n’b, comme Nat King Cole, Brook Benton. Et puis, je suis un amateur de gospel aussi, donc j’aime bien certains chanteurs de gospel également. C’était le genre d’artistes que j’avais l’habitude d’écouter. Et puis, je dois dire Stevie Wonder aussi. J’essaye toujours d’ajouter à ce que j’ai déjà et le seul moyen d’ajouter quelque chose, c’est d’écouter des gens qui ont ce que toi, tu n’as pas. Car si tu écoutes des gens dont tu considères qu’ils font la même chose que toi, tu n’apprendras rien. Comme j’ai dit, Nat King Cole et les gens de cet horizon, des artistes de l’autre côté de l’océan aussi. Et puis, en Jamaïque, j’avais l’habitude d’écouter du Beres Hammond, c’est une de mes influences aussi.
Avant de commencer en tant que chanteur solo, tu as fait partie d’un groupe, qui s’appelait LUST, aux côtés de Tony Curtis, Singing Melody et Thriller U ; peux-tu nous parler de cette expérience et nous dire quand et comment tu t’es associé avec ces gens ? J’avais ma carrière solo avant LUST, définitivement. Ce qui s’est passé, c’est que j’ai quitté la Jamaïque à un moment, pour résider aux Etats-Unis, à Détroit, dans le Michigan. Quand j’ai commencé à aller à l’université, nous avions aussi formé un groupe là-bas, moi, et deux autres gars, qui sont deux amis proches aussi. Pendant que j’étais là-bas, le groupe allait bien, enfin à l’échelle des performances dans la ville. Quand je suis revenu en Jamaïque - je connaissais déjà Thriller U depuis ma période avec Tubby, et Singing Melody aussi - et donc quand je suis revenu, je me suis dit que ce serait bien d’avoir un groupe comme celui-là en Jamaïque, c’est pour ça que j’ai formé LUST. C’était en 1997 ou quelque chose comme ça. On a fait un single et il a directement plu a tout le monde, donc on s’est dit pourquoi on ne garderait pas le groupe. C’est donc comme ça qu’on s’est formé, c’est comme ça qu’on est entré dans cette partie du business.
Tu as été le premier à quitter le groupe ; pourquoi ? Laisse-moi expliquer ça. J’ai trouvé un label indépendant à LA, qui s’appelle Down South Records, et à cette époque, on avait des problèmes, on avait vraiment des problèmes, car ils voulaient le groupe, mais ils ne voulaient pas de Bankey, qui manageait le groupe à cette époque. Donc, j’ai décidé que ça ne pouvait pas se passer comme ça, car il était là à la construction du groupe… Donc, j’ai dit : ‘‘Ok, vous pouvez avoir le groupe entier, mais avec Bankey.’‘ Mais ils n’ont pas voulu de Bankey, et je me suis dit que ce n’était pas une bonne chose ; c’est pourquoi il fallait que je parte. Attends… Laisse-moi t’expliquer… Je te dis, c’est pour ça qu’il fallait que je parte, car ils me voulaient avec le groupe, mais pas avec Bankey. C’est donc comme ça que ça s’est passé.
Et comment sont tes rapports avec les autres membres du groupe aujourd’hui ? Yeah man, ce sont mes frères pour la vie, crois-moi ! Tony Curtis, Singing Melody, Thriller U, ce sont mes frères pour la vie. On chante encore ensemble, comme au Eastfest, et dans tellement d’autres endroits… On est toujours des amis.
Tu as un premier album qui est sorti en 1996, qui s’appelle “Center Of Attraction”, chez VP ; peux-tu en parler ? Qu’est-ce que tu retiens de ça aujourd’hui ? C’est un album très soul, très gospel… Il a été produit par le Firehouse Crew, qui fait partie de ma famille aussi, car il y a des membres du Firehouse qui appartiennent à ma famille ; donc, c’est vraiment mon band. Enfin, tu sais qui est ce band, mais c’est le band avec qui j’ai commencé et fait cet album, le premier Lukie D., pas le premier en fait, le deuxième, mais on a décidé de les mettre ensemble et de les sortir comme ça. On voulait quelque chose de différent. Je suis ce genre de personne… Comme tu as pu le remarquer, je ne fais pas que prêter ma voix pour ne chanter du reggae. Des styles différents, c’est pour ça que je décidais de mettre ça dans un album, car je voulais que les gens écoutent que nous pouvons faire du reggae, nous pouvons faire du r n’ b, nous pouvons tout faire… C’est ce que j’ai essayé de mettre dans l’album, c’est comme ça qu’on obtient cette fusion de choses différentes sur cet album.
Et puis, tu es un des premiers chanteurs à avoir connu un vrai gros succès en te posant sur un riddim dancehall ; avec Back up, back up sur le Liquid riddim, tu as vraiment montré aux gens que tu avais deux facettes. Une chose que j’ai toujours remarquée sur les riddims dancehall, c’est que la plupart des chanteurs font les singjays dessus. Je me demandais pourquoi ils font les singjays sur un riddim dancehall quand ils peuvent chanter dessus. Et c’est comme ça que j’ai décidé de chanter sur des riddims dancehall, pour leur montrer qu’on peut chanter dessus, peu importe sa vitesse. Il suffit juste de bien sentir le beat et de se caler dessus et c’est comme ça que ça vient… Bad riddim !
Juste avant, tu nous as demandé de quel genre était le public aujourd’hui ; qu’est-ce que tu préfères personnellement, le dancehall ou le reggae ? Pour être honnête avec toi, n’importe quelle musique, dancehall, reggae, n’importe laquelle. Je suis à l’aise en chantant du reggae évidemment, mais je peux faire n’importe laquelle. Tout ce que la foule réclame, on lui distribue. On peut tout leur donner.
Avant tout, tu es un chanteur pour les filles ; qu’est-ce qui t’inspire ? As-tu une femme ou des enfants ? Ouais, j’ai ma copine, et je suis avec elle depuis 1998 maintenant. A l’époque on avait quelque chose comme 15 ou 16 ans, on était trop jeune, on n’avait pas de place, car on était trop juste. A présent, quand tu peux sortir la femme de son coin, c’est bien. Je chante aussi pour les rude boys, mais les filles, ça te pénètre, c’est bouillant. Il faut leur donner dur, car si tu leur donnes dur, tu les gardes au chaud…
Tu travailles beaucoup avec les Allemands, particulièrement avec le label Pionear ; comment cela est-il arrivé et quelle est ton opinion sur leur travail ? J’étais à Yard et ils sont rentrés en contact avec moi, j’ai trouvé leur riddim impressionnant. Et je suis un musicien, donc une fois que j’ai entendu quelque chose de bien, je me fiche de ce que c’est, d’où ça vient, ça déchire. A partir du moment où ton riddim est bad et que tu veux que je chante dessus, on peut trouver un accord… Je devais accepter. Et puis, il faut que tu comprennes, que certaines personnes, je pense -je dis bien je pense, c’est ce que je ressens, mais bon - je pense que certaines personnes croient que la musique commence à New York, à Boston, dans le Connecticut, à Miami et tout ça… Moi, je sais que la musique vient de bien plus loin que ça, la musique vient d’Allemagne, elle vient de France, de Hollande… Quand j’entends un bon riddim, j’essaye toujours de faire de bons morceaux sur de bons riddims, car tu ne sais pas qui va t’écouter.
As-tu un autre album en préparation ? Pour quand ? Et quel en sera le style ? Oui, il y a un en ce moment sur lequel je travaille avec Sting Ray… Celui-ci va être terrible et il va à nouveau faire preuve de ma polyvalence. Il devrait sortir au courant du mois de septembre
J’ai entendu que tu avais récemment tourné un clip avec Vybz Kartel pour le tune Every now and then, sur le Celebration riddim ; peux-tu nous donner des détails sur cette expérience et ton opinion sur les jeunes comme Kartel et les DJ hardcore comme Elephant Man et tout ça ? Tous les DJ sont mes amis. Tout le monde. Vybz Kartel, bad ! Sur cette chanson, il m’a dit qu’il avait un petit truc qu’il voulait que je chante, car ce n’étaient pas mes paroles. Il m’a juste donné la mélodie et je suis venu pour la chanter…
Pourquoi ? Est-ce que c’est un gros titre ici ? Il faut que je le chante alors…
Quand viendras-tu en France ? As-tu le projet de venir nous rendre une visite un jour ? Ecoute, quand ils seront prêts pour moi, je serai prêt. Quand ils diront qu’ils veulent du Lukie, je serai prêt. Mais je n’ai encore rien entendu… J’ai enregistré un truc pour un label là-bas, pour un mec qui s’appelle Pierre, j’ai oublié le nom du label… (ndlr : il s'agit en fait de Special Delivery music) Ca va le faire ; dès qu’ils seront prêts, je le serai.
Pour finir, as-tu un message ou un big up à passer, un projet à annoncer aux gens de France, qui sont vraiment des fans ? Et bien, je voudrais dire que je dois d’abord remercier dieu lui-même, qui, lui seul, a rendu ça possible. Je voudrais remercier tous les gens des médias, en Allemagne, en France, partout en Europe là où on soutient le reggae. Parce que s’ils ne le soutenaient pas, il resterait à Yard et ne pourrait évoluer. Je big up tout le monde, le public, les magasines, les radios, les journaux, partout où on soutient le reggae et où on soutient Lukie D. Nous ne faisons que chanter nos chansons et les sortir, ce sont tous ces gens qui en font ce que c’est. Tous ces gens qui aiment le reggae et qui veulent en faire ; ils apprennent à jouer d’un instrument, ils apprennent à chanter juste. Ne chante pas faux et élimine les morceaux violents. Chante quelque chose dans laquelle les gens pourront apprendre, car quand on chante des chansons violentes, ça ne fait qu’amener la violence un peu partout.
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