INTERVIEW
Propos recueillis par : Filip Flatau
U-Brown a fait ses premiers pas en tant que Soundboy dans le sound system de King Tubby. Si son style se calque exactement sur celui de son maître U-Roy, c'est voulu et c'est grâce à cela qu'il a pu chanter un jour. En effet, U-Roy qui s'était cassé le bras, ne pouvait plus chanter ni se produire sur scène pendant 2 semaines. C'est comme ça que U-Brown tenta sa chance au côté de King Tubby. Si vous n'avez pas eu la chance de voir ce vétéran Deejay, il est temps de vous rattraper. En attendant, U-Brown nous raconte son expérience dans les sounds systems, et fait part de ses opinions sur le reggae de nos jours.
Reggaefrance / Peux-tu nous parler de tes débuts ? / En fait, c'était un don que je possédais, mais j'ai eu l'inspiration pour m'exprimer grâce au grand U- Roy. Lorsque j'ai débuté, cela m'a pris un an ou un peu plus pour devenir populaire et pour enregistrer des disques. Je suis devenu populaire grâce aux sounds systems, car ce n'était pas comme aujourd'hui où beaucoup de deejays ne peuvent pas devenir connus avant qu'ils sortent un 45 tours. Auparavant , nous commencions dans les sounds systems, comme King Tubbys, Emperor Fitt, Socialist Roots, Jack Ruby, Hi Power, juste pour en mentionner quelque uns, et le grand King Sturgav. Et après avoir réalisé ces "Live Dances" avec les sounds, en tant que jeune adolescent arrivant dans le business, les producteurs ont commencé à entendre parler de moi. Certains d'entre eux sont venus aux dances et ont aimé ce qu'ils ont entendu. Le premier producteur qui est venu me voir était Winston Edwards et j'ai fait deux chansons pour lui : "Jamaican Tobbaco" et "Wet up your pantsfoot". Après ces deux enregistrements, j'ai rencontré Yabby U, qui vivait à Kingston 11. Il m'a demandé de faire mon deuxième set d'enregistrements. J'ai ainsi enregistré pour lui : "Dem a Wolf". Puis Bunny Lee, qui était le "résident" producteur dans le studio de Tubby, a décidé de faire un album avec moi, car il aimait la façon dont sonnait ma voix et ma manière de poser sur les riddims. Le reste, c'est de l'histoire.
J'ai entendu une anecdote selon laquelle c'était presque par chance que tu as pris le micro ? Je vivais dans le quartier de King Tubby, à WaterHouse, dans une communauté qui s'appelait Tower Hill. Un mec qui travaillait dans le sound de Tubby ( son vrai nom était Trevor, mais on l'appelait Tower Hill, car il vivait dans cette communauté) aima ma façon de chanter et parla de moi à Tubby. Car à ce moment, U-Roy avait eu un accident : il s'était cassé la jambe et fut hospitalisé, il ne pouvait donc pas prendre le micro dans le sound de Tubby. Et à cette époque, Dillinger était l'un des meilleurs deejays, avec "CB200", "Plantation Heights". Le promoteur de la soirée demanda à Dillinger de chanter à la place de U-Roy, mais Tower Hill me présenta à Tubby en personne, car je chantais dans la lignée de U-Roy. J'ai donc étais invité dans la même soirée que celle où Dillinger devait chanter. Ce n'était pas un manque de respect envers Dillinger, car c'est un frère. Le style de Dillinger à cette époque était très bon, mais il ne collait pas avec le son de Tubby. Aussi, lorsque j'ai chanté à cette soirée, les gens ont été impressionnés par mon style et j'ai donc continué à chanter pour Tubby. Cela a donc été une vraie chance pour moi.
Que penses-tu des sounds systems comme Killamanjaro ? Je respecte beaucoup ce sound, car il est très polyvalent. Il peut très bien jouer du rub a dub comme du jugglin. Ce qui m'impressionne chez Killamanjaro, c'est que, même s'ils font des spéciales avec de nombreux artistes et que ces artistes peuvent faire les mêmes spéciales pour différents sounds, les spéciales de Killamanjaro sonnent toujours différemment. Je dois remercier Ricky Trooper pour cela, car il sait ce que les gens veulent, et c'est pourquoi Jaro est encore vivant aujourd'hui.
Comment peux-tu expliquer ce changement radical qu'il y a eu dans les sounds ? Et bien, pour être honnête avec toi, les personnes qui suggèrent ce genre de chose (crier dans le micro, clash violent) peuvent avoir raison, jusqu'à une certaine limite. Les sounds systems sont une autre forme de média, comme la radio, c'est la radio du ghetto. Aussi, ce que les sounds jouent, c'est ce que les gens pensent. Mais c'est aussi que, dans de nombreux bashments, on vit et on parle de violence et de sexe. J'aime le sexe, le sexe est important. Mais la façon dont ils en parlent ne me donne plus l'impression que ce soit vraiment important. Cela me fait penser à un jeu, mais pas à un jeu professionnel, à un jeu amateur. Je comprends qu'il y ait certaines choses nécessaires dans la vie, mais il y en a d'autres également. Ce que je voudrais dire aux gens qui vont à ces bashments et qui achètent ces disques sans les critiquer, c'est que, selon moi, les gens ont besoin de vivre et parfois, le système voudrait qu'ils fassent n'importe quoi pour gagner de l'argent, pour survivre. Ainsi, lorsque tu fais certaines choses, pour te faire de l'argent, les moyens grâce auxquels tu survis, tu ne les apprécies pas. Il te semble que tu les apprécies, mais ce n'est qu'une illusion. Car tu ne prends pas le temps de vivre de façon naturelle, tu fais les choses mécaniquement, et tu te plantes en prenant la mauvaise direction. Et c'est ça qui nous mène vers la destruction.
Le reggae sert donc à se battre contre ce système mécanique ? Le reggae est une partie de la consciousness, qui est présente pour éduquer et élever les gens. Comme je l'ai dit précédemment, le système te pousse à agir d'une certaine façon, de leur façon, et si tu ne le fais pas, tu ne peux pas survivre. Mais si tu es assez fort et si tu connais les choses de la vie, tu n'es pas obligé de suivre leur chemin.
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