Aussi à l’aise dans les clubs londoniens que dans les sound systems jamaïcains, Taiwan MC fait la synthèse de ces univers. La rencontre de Taiwan MC avec Chinese Man a changé beaucoup de choses. Le collectif marseillais lui propose d’abord de chanter sur un titre (Miss Chang), puis l’invite à les rejoindre en tournée, puis le signe sur le label Chinese Man Records. Après un premier EP, "Heavy This Year" en 2013, puis un deuxième, "Diskodub", fin 2014, il était temps qu’on aille à la rencontre de Taiwan MC.
Reggaefrance / L’avant Chinese Man, ça ressemble à quoi ? / Je faisais des soirées Cool & Deadly avec mon collectif (soirées à Paris qui ont accueilli Jahtari, Mungo’s, et bien d’autres, ndlr). J’étais MC, un peu selector. J’ai toujours écouté du reggae et aussi beaucoup de drum n bass, je suis arrivé un peu à la scène par ce milieu des free parties. Je me suis vite intéressé au tournant plus groove de la techno c’est-à-dire la drum and bass et tout ce qui venait d’Angleterre, puis le dubstep quand c’est arrivé en France.
En fait, tu appartiens aussi bien à la scène électro que reggae ? Quand je suis arrivé à Paris à la fin des années 90, j’allais à l’Espace Massena ou à l’Espace des Peupliers. J’allais autant en sound system que dans les raves parties. Les soirées drum and bass étaient pour moi ce qui rassemblait tout ce que j’aimais, avec les grosses basses du dub, du dancehall, et la folie de la musique électronique et de la techno. J’ai toujours bien aimé ce mélange et dans ce que je fais aujourd’hui on retrouve un peu cet esprit-là. Je suis venu plus tard aux soirées dub UK, pour me rendre compte qu’il y avait autant de basses, sinon plus, que dans les soirées drum and bass. J’ai vu Iration Steppas, Blackboard Jungle, et ils m’avaient vraiment scotché avec leurs sonos qui se foutaient de la limitation de décibels. Un autre moment qui m’a marqué, c’est quand j’ai vu Conscious Sounds, avec le chanteur King General.
En 2013, ton premier EP "Heavy This Year", très diversifié, montrait justement toutes ces facettes. C’était une volonté. J’ai toujours chanté du reggae, mais rarement en posant sur des instrus reggae. Plutôt sur des instrus hip-hop, drum and bass, funk… J’adorais le reggae, mais je n’étais pas assez doué pour me permettre de faire du reggae roots. Mon but était de m’inspirer de ça en le transposant sur d’autres styles de musique. Avec "Heavy This Year", l’idée était un peu de faire une démo, montrer toute l’étendue de ma palette. Aussi, les premiers morceaux que j’ai proposés n’ont pas trop plu au label. Il a fallu faire des choix, il y avait une démarche consciente de faire un objet particulier. Pour "Diskodub", c’était beaucoup plus libre, je voulais faire un album de reggae digital.
Le reggae est l’une des musiques qui a le plus recyclé, réutilisé, remixé… Les versions dub, les versions alternatives, c’est dans le reggae depuis longtemps.
Et ça s’entend, notamment avec l’emprunt aux grands classiques : les riddims Tempo, Sleng Teng, Rumours… Ce sont des influences, le reggae digital. Il y a aussi la funk et le disco sur le titre Diskodub. C’était la 2e ligne directrice de l’album. Quand on considère la production musicale électronique des années 80, on voit que ce sont les mêmes sons, les mêmes synthés, presque les mêmes éléments qui sont utilisés à la fois dans la funk et dans la proto-house, dans les musiques électroniques qui arrivent et déboucheront sur la techno dans les années 90. Ils utilisaient les mêmes samples, les mêmes sirènes, les mêmes effets un peu bizarres sur les voix… Ça m’intéressait de mettre en avant ce mélange entre le reggae et la funk et le disco. C’est ce qui a donné le titre Diskodub et un peu la production du Pon Di Road.
Sur Pon Di Road justement, on reconnait la guitare de Ring of Fire de Johnny Cash… Ces notes sont jouées sur une guitare désaccordée avec deux cordes ! Moi je pensais aux Skatalites (qui reprennent la mélodie avec des cuivres sur Occupation, ndlr), mais c’est vrai que c’est une chanson de Johnny Cash ! C’est aussi ce que je voulais montrer dans mon disque : c’est un aller-retour entre la Jamaïque, l’Angleterre, l’Europe, la Belgique pour la techno et ça revient… Major Lazer, par exemple tu pourrais citer 80 influences différentes de micro-styles qui viennent du monde entier. Quand tu vas trop loin, tu fais un plagiat. Mais les plagiats involontaires ou semi-volontaires existent depuis la nuit des temps. J’y pensais avec cette histoire de Pharrell Williams et Robin Thicke (récemment condamnés pour plagiat d’un morceau de Marvin Gaye, ndlr). Dans le reggae, si chaque artiste qui s’inspire d’un morceau classique se prenait un procès, ils seraient au tribunal tous les jours ! Le reggae est l’une des musiques qui a le plus recyclé, réutilisé, remixé… Les versions dub, les versions alternatives, c’est dans le reggae depuis longtemps.
Sur "Diskodub", tu signes tes premières compositions… Sur le premier EP, j’avais composé la base du riddim de Gunshot Again, que SOAP a entièrement repris. J’avais donc un peu travaillé sur l’EP mais c’était quand même léger. J’ai trois compositions sur "Diskodub", qui ont aussi été retravaillées par SOAP. Je veux faire de la production depuis des années, mais je suis très fainéant et très peu organisé pour m’équiper comme il faut. Encore maintenant, j’ai un très vieil ordinateur ! L’objectif est de monter un petit studio chez moi. Je crois que je préfère faire de la musique que chanter, mais pour l’instant je n’ai pas le niveau pour être beatmaker. Mais c’est mon but pour être indépendant et autonome, faire mes beats et mes voix.
En live, on voit SOAP s’agiter partout, passer des machines au melodica… Au début, quand on a réfléchi au live, on avait des idées pharaoniques. Mais pour des raisons économiques, on n’est que deux sur scène. On ne pouvait se contenter lui de passer les instrus et moi de chanter pendant 1h30. On a voulu amener du live, on a des claviers, des machines diverses et variées, on a un melodica et un petit theremin, qui réagit aux ondes magnétiques : si tu approches ta main, ça produit un son, qui monte au fur et à mesure que tu approches ta main. C’est très visuel. Ça montre aussi la personnalité de SOAP, qui joue de toutes sortes d’instruments et a plusieurs casquettes.
Les deux EP sont disponibles en vynil. Je collectionne des vinyls depuis des années. En plus, Chinese Man Records sortent des vinyls depuis leurs premiers disques. C’était logique qu’on le sorte comme ça. En plus avec la pochette, il n’y avait pas de raison de ne pas la mettre en valeur. Un truc drôle, au moment de la sortie de "Diskodub", j’avais vendu plus de vinyls que de CD ou de mp3. Je croyais que gens achetaient des mp3, mais en fait non, ils achètent un vinyl, piratent le mp3, et viennent te voir en concert. Le CD sert surtout pour les médias, sinon tout le monde s’en fout ! Donc big up à mes fans, qui ne se trompent pas ! (rires)
Chinese Man Records est très impliqué dans la réalisation ? C’est un truc familial, on prend les décisions ensemble. Il n’y a pas de pression ou de hiérarchie. Il y a une grosse liberté. Mais quand ils n’aiment pas un riddim, ils me le disent. Je me rappelle qu’au début, quand j’avais proposé mes maquettes pour "Heavy This Year", ils n’étaient pas très emballés. Je les remercie aujourd’hui, parce que ça t’oblige à aller plus loin, à être meilleur. Une liberté totale peut aussi être dangereuse dans le processus de création. On a un bon équilibre, ils interviennent sur les points importants, ils proposent des solutions, des artistes qui travaillent avec eux depuis longtemps, comme Fred et Annabelle pour le clip de Roll It Up ou Julien Lois pour les visuels. C’est lui qui fait les pochettes de Chinese Man et je le voulais vraiment pour "Heavy This Year" car j’aime beaucoup son coup de crayon.
C’est une bonne plateforme pour exposer ses projets. Si demain je leur parle d’une envie, ils sont ouverts à toute proposition. Par exemple, ils se sont investis dans l’organisation d’un festival, le festival international du film d’Aubagne, sur lequel bosse une partie du groupe et du label. On va faire une grosse soirée avec DJ Vadim et pas mal d’artistes. C’est un truc assez global, entre musique, vidéo, graphisme… On est présents sur tous les plans, depuis dix ans !
Tu travailles sur un album ? C’est la question de tous les journalistes ! Avez-vous remarqué que les gens écoutent différemment la musique ? (rires) Je suis très difficile avec moi-même, c’est pour ça que j’ai sorti peu de choses à mon âge. J’ai toujours été très critique, j’ai fait plein de morceaux qui ne sont jamais sortis. Pour sortir un album, faudrait que je fasse 25 morceaux pour en garder la moitié… Et en plus je suis fainéant ! (rires) Le format digital et le fait que les gens écoutent la musique en ligne font que je trouve que le format album est un peu long. Moi-même je n’en écoute plus beaucoup entièrement, je zappe entre les morceaux. Ce n’est pas le format qui m’intéresse. J’ai encore envie de faire plusieurs EP différents, avant de sortir un album. Pour moi c’est une œuvre d’art intense, il faut un concept. Ce n’est pas pour tout de suite, mais un jour, j’en ferai un !