INTERVIEW
Interview et photos : Filip Flatau
Reggaefrance / Peux-tu nous dire comment tu as commencé à être deejay ? / J’ai commencé la musique alors que j’étais encore un enfant.
Professionnellement, à l’âge de 5 ans.
Dès l‘âge de 3 ans, j’ai commencé à parler correctement et à chanter par la même occasion. J’étais un enfant qui ne pouvait pas parler, j’étais un enfant qui chantait et je jouais tout le temps avec les mots. Tout ce que je disais, je le chantais. Quand j’allais chez l’épicier pour acheter 1 pound de sucre, je le disais en toastant.
Vers l’âge de 5 ans, j’ai décidé de ne pas faire du reggae, car il y avait Ziggy Marley and The Melody Makers, qui étaient des enfants comme moi, il y avait également les Musical Youth de Birmingham, qui faisaient eux aussi du reggae. J’ai choisi de prendre le côté ragga de tout cela.
Lorsque j’ai commencé à l’âge de 5 ans, j’ai fait mon premier Sound System juste en face de ma maison. J’ai dû attendre que mes parents s’endorment, à deux heures du mat. Je suis sorti discrètement de ma maison, je suis allé à la danse. Il y avait là bas : Johny Ringo (un vétéran deejay de Jamaïque) qui était au micro. Je lui ai tiré sur le pantalon; il a cru que j’étais un enfant perdu, alors il a dit au micro : «Il y a un enfant perdu avec moi, si les parents sont ici veuillez venir le chercher». Il m’a donné la parole pour dire aux gens quel était mon nom, puis je lui ai appris la raison de ma visite. Je lui ai dit que je n’étais pas perdu et que j'étais ici en tant que deejay; et puis, lui a répondu: «Deejay ?!? Toi... deejay ???», car j’étais vraiment petit.
Puis il m’a dit de montrer ce que je savais faire. Le selecta a alors lancé le riddim, je me suis posé dessus : la danse a commencé à exploser.
Mais à cette époque, je n’avais pas de nom de deejay comme maintenant : ce sont les gens qui m’ont donné ce nom, car aux sounds systems, je ne me présentais jamais, j’étais juste un «enfant perdu», qui venait chanter au micro. L’inconvénient est que mon frère et ma sœur étaient à la danse, et moi, je ne le savais pas; je croyais qu’ils dormaient eux aussi. Cela a été la plus grande chose qu’ils aient jamais faite pour moi : mon frère est venu vers moi et m’a dit : «J’étais au sound hier, et je t’ai vu, ce n’est pas bien : tu ne devais pas être là...mais tu as été génial». Alors nous avons conclu un marché, selon lequel, à chaque danse où ils se rendraient, ils me prendraient avec eux. On s’était dit que, si ça se passait comme ça, ma mère serait d’accord; mais ma mère pensait qu’ils avaient une mauvaise influence pour moi.
Ma mère était très protectrice ; pour différentes raisons : j’étais prématuré, je suis né chez moi,alors que le reste de ma famille était né à l’hôpital. Ma mère rentrait du travail, quand elle a senti la douleur venir, donc je suis né dans son lit, puis j’ai été emmené à l’hôpital dans un incubateur pour survivre. Les maladies viennent souvent quand tu es âgé de 5 ou 6 ans, donc elle gardait toujours un œil sur moi. Elle était mon ange gardien. Dès l’âge de 6 ans, je suis allé à l’école primaire. Dans ma tête, j’étais un homme. J’avais l’habitude de faire mes shows le vendredi et le samedi soir, puisque le dimanche il fallait se coucher tôt, car le lendemain l’école reprenait.
A l’âge de 8 ans, j’ai reçu une invitation pour participer à un Talent Show, mais cette année-là, c’était rediffusé à la radio et à la télé. C’est là que ma mère a vu que je n’étais pas un artiste de merde, mais que j’étais un vrai deejay. Je suis allé sur scène, j’ai fait mon show : il y avait 60 concurrents, qui comptaient des deejays, des comiques, des dub poets, tous dans la même compétition.
Puis j’ai gagné : un passage sur la télévision national et ma mère a sauté de joie partout dans la maison. Dès que j’ai gagné ce concours, j’ai eu un contrat pour chanter pour l’un des plus gros labels jamaïquains de l’époque :, Volcano, de Junjo Laws. J'y suis allé sans hésitation, car il fallait juste refaire les paroles que j’avais faites au concours. Ce n’était pas très dur, car j’avais toujours ces lyrics en tête. Quand je suis arrivé au studio, ils m’ont joué le même riddim qu’il y avait au concours, ce qui m’a mis encore plus à l’aise ! Le titre est sorti une semaine après et s’est placé à la première position des charts en Jamaïque.
J’étais alors un enfant star : «a child star», qui allait à l’école. Quand j’allais en sound : j’étais Beenie Man, quand j’allais en cours : j’étais Moses. J’avais beaucoup d’amis, mais j’étais plutôt solitaire, je n’aimais pas trop les amis. Mes frères et moi, on allait dans la même école, et on a toujours conservé l’aspect familial. On n'avait pas besoin de se protéger, on se protégeait nous-mêmes; on n'était pas impliqué dans les actions violentes, on était des enfants normaux. Mon père était un rastaman, et si tu faisais quelque chose de mal, tu te faisais botter les fesses devant tout le monde à la sortie de l’école :. Donc on devait être des enfants sages.
Puis, j’ai eu un deal pour faire un album de 10 chansons, mais j’avais déjà au moins 25 lyrics de préparées. Je me suis levé dimanche matin, puis je suis allé au studio, où j’ai chanté toute la journée. Ca m’a pris un jour pour faire l’album, car tous les riddims étaient déjà prêts.
Pour mes 10 ans, le 27 août, le producteur m’a emmené à Jammys pour faire les photos de la pochette. Il m’a dit : «L’album va bientôt sortir, il va s ‘appeler The Ten Years Old Deejay». L’album est sorti en Angleterre tout d’abord, puis quand il est sorti en Jamaïque, là, je suis devenu une grosse star. J’ai commencé à aller à l’étranger, à faire des tournées. Mais il y avait un problème : c’est que je ne pouvais pas aller faire des tournées et aller en cours en même temps. Mes parents étaient inquiets, car je devais finir mes études.A l’âge de 14 ans, je suis revenu en Jamaïque pour finir mes études : je suis sorti diplômé de l’université des West Indies et j’ai alors décidé de retourner dans la musique. Ce fut un peu plus lent pour que le succès revienne à l’époque, car il y avait plein de jeunes qui faisaient la même chose que moi. Ca m'a pris 3 ans pour trouver et affirmer mon style.
J’ai fait une chanson à l’âge de 20 ans, pour le soundtrack de « Who’s the Man ». J’ai alors gagné 1 million de dollars jamaïquains pour ce morceau.
A l’âge de 17 ans, je vivais tout seul. (à l’âge de 9 ans je prennais soin de ma mère)
A 20 ans : j’étais millionnaire; c’était il y a 7 ans de cela. En 1992, j’ai fait un break en Jamaïque, avec la chanson « Bad Man Wicked Man ». J’ai été très controversé pour ce morceau. Je me suis dit: « Merde c’est ça la musique maintenant ? ». Car la musique a évolué en Jamaïque dans les année 70, puis dans les années 80 et maintenant encore, dans les années 90; c’est le mauvais esprit qui règne :, personne ne veut te voir réussir. Mais je ne me suis pas arrêté là...Ma première compétition s’est déroulée avec Bounty Killer. Je l’ai calmé la première fois, puis il est revenu. Ainsi de suite, jusqu'à ce qu’il décide d’arrêter la compétition avec moi.
J’ai eu tellement d’awards dans ma vie; j’ai été nominé pour 2 grammy awards également. J’étais à New York en 1997, à la sortie de Who Am I, et je me disais «Yeah, Who am I, c'est vraiment fort»; il était numéro 1 en Jamaïque à cette époque.
Mais en Amérique, ça marchait moins, je suis allé au Downin Stadium pour faire un show, puis j’ai rencontré Capleton. Sur scène il a dit : «Sim Simma, man got the keys to Beenie Man bimma». Je me suis barré de la scène. Les gens se disaient : «Ca y est, ça va être la guerre» Je suis retourné sur scène et j’ai demandé au public qui ils étaient venu voir ce soir-là. Ils ont répondu «Beenie Man», alors j’ai rétorqué «Si vous voulez me voir chanter ce soir : virez-moi ce mec de scène». Ca été la plus grande émeute que j’ai jamais vue. Les gens se précipitaient du fin fond de la foule. Quand je suis retourné sur scène, j’ai mis le faya.
A mon retour en Jamaïque, je n’ai surtout pas attendu à l’aéroport. Je me suis esquivé, en faisant face à une quarantaine de bobos dreads qui étaient en train de gueuler qu’ils voulaient me tuer... J’ai dû me faire tout petit, traverser la foule et aller jusqu'à ma voiture et alors que je me dirigeais vers ma voiture, quelqu’un m’a retenu et m’a mis un coup au visage. C’est là que je me suis rendu compte que ces gens sont violents. Quand j'ai quitté l’endroit, je les voyais s’agiter avec des machettes...
Je me suis dit que je ne voulais pas être mêlé à ces histoires.
Jusqu'au show Rebel Salute (grand concert organisé par Tony Rebel), je suis allé à la campagne pour voir Capleton chanter, car je ne l’avais jamais vu avant qu’il devienne hyped (à la mode).
Sur le chemin du retour, je me suis arrêté pour prendre l’air. Il y avait là deux bobo dreads : un avec un gun et l’autre avec une sorte de fouet. J’ai essayé de parler avec celui qui avait un gun; «Tu es un bobo dread, tu n’es pas supposé faire des trucs violents », et l’autre gars m’a fouetté brutalement au visage. J’ai du partir en courant dans les collines, puis ils sont partis à ma recherche. Mais j’étais habillé en noir ce jour-là. J’étais terrifié, je me suis allongé et j'ai attendu; les mots exacts qu’ils ont prononcés sont: «This Boy a dis the Prophet so we haffi kill him» : «Ce mec n’a pas respecté le Prophet (Capleton), on doit donc le tuer».
Quand le matin est arrivé, j’ai couru jusqu'à ma voiture et de là je suis allé directement à Kingston. Je ne voulais le dire à personne, avant que mon manager vienne me voir le matin et me demande de lui raconter l’histoire. Ma femme s’est mise à pleurer, car elle ne savait même pas que j’étais allé au show. Après cela j’ai décidé de lui raconter, ce n’était pas un moment facile. Les gens voulaient tuer Capleton dans mon entourage. Je me suis dit: «Laisse la vengeance à Dieu», car ce n’est pas bon de se venger. Tout ce que je fais, c’est que je ne me mêle pas à eux, je ne les appelle pas ni rien de cela.
Un de tes derniers morceaux sur le bellyas riddim (voir interview de Ward 21) «Heights of Great Man» parle justement de Capleton ? Oui, «More Prayer» pour protéger ma famille et mon entourage. Car quand un mec te dit «Fire», il pense au diable, au dragon. Et comme Selassie a dit: «Tue le dragon, car le dragon crée le feu», tout homme devrai être fait d’eau. Donc, tu sais que ce qu’ils font c’est diabolique. Je n’ai rien à faire avec le diable, donc je prends les choses calmement et je laisse passer le diable avec sa musique diabolique. Tu vois, je suis un artiste international, et mon travail par rapport au dancehall est vraiment important à travers le monde entier, cela n’a pas de sens d’arrêter le travail de quelqu’un en essayant de le tuer. J’ai donc tout d’abord quitté VP Records. Pas d’argument, j’ai juste fait le morceau «Heights of Great Man» pour lui faire savoir que tu n'obtiens ce que tu veux qu'en travaillant, tu ne tues pas quelqu’un pour ça.
Penses-tu qu'il y ait trop de fire ? Ses trucs sont ses trucs, mes trucs sont mes trucs. Si il veut dire «fire», moi je dis «prayer». Après,13:38 31/05/00 le Fireman est celui qui arrête le feu pas celui qui le propage, donc leur vision est stupide.
Peux-tu nous en dire plus sur ton prochain album ? Art & Life est super, on a travaillé dur pour cette album, pour vraiment essayer de garder un son jamaïquain, mais également international. Cet album sonne moins dancehall, car tous mes albums ont eu une sonorité dancehall. Donc, c’est bien pour moi d’emmener la musique uptown (partie riche de Kingston), car nous sommes du ghetto. Car quand un mec grandi downtown et qu’il devient riche, la première chose qu’il veut faire c’est aller uptown . Donc, cet album sonne dancehall et cross-over (mélange de différentes influences).
Peux-tu nous parler de ta coopération avec Wyclef sur cet album ? Je suis ami avec Wyclef depuis 7 ans, et il a seulement fait des remixes pour moi jusqu'à maintenant. Mais cette fois, je voulais qu’il participe à l’album. Je voulais également inclure Maxi Priest, mais il était en tournée au Japon et je ne suis pas du genre à faire écouter mon travail à un artiste et tout faire enregistrer sur des pistes différentes. Alors, je suis allé voir Wyclef et il m’a dit: «Ok, donne-moi 15 minutes». En moins de 10 minutes, il était là pour enregistrer. Quand je lui disais de chanter, il chantait, je lui demander de rapper, il rappait.
Tu as aussi enregistré le morceau «Haters and fools», en combinaison avec Mr. Easy, pour Dave Kelly, sur le clone riddim. Peux-tu nous parler de ta coopération avec lui ? Dave Kelly et moi sommes amis depuis toujours. Avant qu’il soit à Madhouse production, il travaillait au studio Tuff Gong. Dave Kelly a enregistré mon premier gros titre aux Etats Unis. : «The slam» et j’ai vraiment apprécié cela. Il a mixé 2 titres sur le prochain album.
Pourquoi n’as-tu pas enregistré plus de titres avec le Alias Project (de chez Mad House records, qui comprend Bounty Killer, Baby Cham, Wayne Wonder...) ? Moi, j’ai mon propre label et ma propre compagnie. Quand ils ont un programme pour moi, ils m’appellent. Mais Mad House est plus le camp de Bounty Killer, Baby Cham, Wayne Wonder. Mon camp est Shocking Vibes. C’est pourquoi j’enregistre moins souvent pour Dave Kelly.
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