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Date de mise en ligne : lundi 28 octobre 2013 - 41 431 vues La Réunion, terre de reggae
Après avoir traversé tout le continent européen et asiatique, notre tour du monde du reggae se poursuit dans l'Océan Indien, où nous faisons escale sur l'île de la Réunion. Nature imposante, omniprésente, vivante, rythme de la vie et convivialité des Réunionnais, incessant brassage entre les peuples, les cultures et les traditions… La Réunion est un endroit idéal pour poursuivre notre panorama mondial du reggae.
Les artistes Jamaïcains ne s'y trompent pas et aiment venir jouer sur ce rocher au large de Madagascar, ou même y passer un peu de temps comme Cédric Myton (The Congos). La liste est longue de ceux qui sont venus y terminer une tournée ou faire un break avec les dates métropolitaines : Burning Spear, Steel Pulse, U-Roy... et Groundation chaque année. Récemment, Raggasonic, Julian Marley ou encore Beenie Man se sont arrêtés sur l'île, se produisant au festival Kaloo Bang. Nous pouvons aussi citer le Sakifo à Saint-Pierre, la scène de la Ravine de Saint-Leu ou le Palaxa à Saint Denis qui accueillent bon nombre de concerts depuis des années.
Forte d'une longue histoire, la scène reggae et dancehall réunionnaise est très riche. Dès la fin des années 80, les premiers activistes n'ont cessé de développer la scène locale. De nombreux sound-systems permettent aux jeunes de s'aguerrir devant le public : le précurseur Vince avec le Ker Faya sound-system, mais également Bass Kultur, le Lightning Sound ou encore le Community. Après Radio Pikan et Radio Vie qui ont proposé des émissions pendant plusieurs années, le reggae vit toujours sur les ondes grâce à Inity-I Station, en encore Daddy Tétard sur Vellymusic qui officie depuis près de 15 ans. En bord de mer ou dans des coins de montagne reculés, dans les villages ou des « kabars », des moments de partage improvisés dans la nature, le reggae réunionnais montre une belle vitalité. Pour l'occasion, ce n'est pas un, mais trois artistes que nous sommes allés rencontrer : DJ Lokal, Ti Rat & Kaf Malbar et le groupe Toguna.

A maintenant 45 ans, DJ Lokal, aka Tanto Leon, habite toujours dans sa ville natale, Le Port. Grand frère du mouvement démarré il y a plus de vingt ans, il a lancé et lance encore les nouvelles générations. « J'ai été le premier à ramener le mouvement dancehall dans les clubs et les boites de l'île, le premier à prendre en main les jeunes deejays et chanteurs. A l'époque, j'étais le seul à presser des vinyls et à travailler avec un label de reggae international (JetStar, ndlr). »
DJ Lokal a 16 ans au début des années 80. Il anime alors une émission sur Radio Frégate, l'une des premières radios indépendantes à la Réunion. Après des animations de soirées, des mix dans les bars et discothèques ou des premières parties de concerts, une association le contacte pour donner des cours de musique en prison. En parallèle de ses ateliers, DJ Lokal fonde Ragga Force Filament avec des camarades de la première heure, Jacko Maron et Lord Jamblon. Leur premier album, aux sonorités jungle, drum & bass, ragga et hip-hop, sort en 1996. Dans la foulée, il rencontre Mc Janick et commence à prendre le micro. Durant cette période, Lokal organise des concerts, les venues de Sydney et plus tard d'IAM et NTM. Il monte Ghetto Prod avec des camarades et commence à se produire en sound-system, à sortir des mix-tapes underground et il exporte son savoir-faire sur l'île voisine, Maurice.
Un vrai pionnier, qui porte un jugement peu flatteur sur la production actuelle : « Je trouve qu'ici, il y a un lavage de cerveau à grande échelle à cause du monopole radiophonique, c'est dommage pour le peuple mais nous, on sait qui sont les vrais et les faux (…) Trop de groupes de reggae n'abordent jamais les vrais problèmes auxquels nos jeunes sont confrontés. Il y a beaucoup trop de hype et ça se dit militant ! »
Ce personnage fondateur de la scène reggae locale donne aujourd'hui des cours dans une école pour DJ, dans des collèges et a monté Soldjah Band Crew Family, un collectif de youths qu'il soutient et qu'il prépare à entrer en studio : « J'estime que le savoir doit se partager et je n'attends rien en retour, à part de moi-même. 45 ans et toujours présent ! » Militant depuis ses débuts, DJ Lokal est toujours une référence et un repère.
Les années 90 voient naître les premiers groupes de reggae roots réunionnais. Kom Zot, en 1991, vient du maloya, musique traditionnelle et ancestrale. La formation est très populaire et joue les premières parties d'Aswad, Culture et Lucky Dube entre autres. Après une collaboration avec Albert Griffiths, le groupe participe à la dernière tournée des Gladiators et lance son propre label, MaronRprod. Ayant aussi travaillé avec Tyrone Downie, Kom Zot fait toujours partie intégrante du paysage musical de l'île.
Comment ne pas citer le groupe Natty Dread ? Un vrai son roots, des textes prônant la paix et la tolérance, les débuts du groupe fondé par deux frères, Jean-Marc et Jean-Marie, en 1992, n'ont pas été simples mais ont permis de forger l'unité du groupe. Reconnus dans l'océan Indien, c'est l'Afrique et le Mali qui les ont séduits et où ils ont notamment collaboré avec Manjul en 2004. Avant de déménager son Humble Ark à Bamako, ce dernier avait quitté Paris pour s'installer à… Saint-Leu, à la Réunion. Fred Le Dar, Nora, Persepolis ou Na essayé, ont aussi compté et apporté à la scène reggae créole.
Kom Zot – Kaz Maron

Ti Rat nous accueille au milieu de la nature, chez lui à Ste Anne, petite commune située à l'est de l'île. "Dans son Zion », comme il aime à l'appeler, la convivialité est le maître mot. Ce qui ne masque pas un propos virulent et revendicatif. « Rouge Reggae, c'est Rastafari alternatif, contre Babylon, contre les grands commerciaux de ce monde (…) Dans cette île, il y a une répartition injuste des valeurs et des acquis sociaux, il a fallu que le reggae fasse le point là-dessus ! » Ce sera donc le leitmotiv de son message, mis en musique par Rouge Reggae. Le groupe naît en 1994 et dénonce la société à deux vitesses, le délitement des acquis sociaux, la différence de traitement entre les diverses couches de la population. Ses textes prônent le retour de valeurs saines et la lutte contre la société qui s'impose, contre la consommation outrancière et ses abus. « On a perdu des atouts que les anciens nous avaient transmis, ce qu'on voit maintenant partout dans notre société, c'est que du Babylon fashion ! » Une radicalité qui a rendu difficile la sortie du premier album, mais le groupe a su convaincre grâce à la scène et à l'adhésion du public.
Ti Rat & Rouge Reggae - Pasteur Martin Luther King
Avec aujourd'hui quatre albums à leur actif, Rouge Reggae et son leader jouent régulièrement en France mais leur plus grand plaisir est de jouer chez eux, dans leur backyard de Ste Anne, à leur manière et en invitant qui ils veulent. « A la Réunion, on ne bénéficie pas des moyens que vous pouvez avoir en métropole pour la musique, ici c'est rough ! » Ti Rat est également associé à l'organisation de l'Uprising Roots festival, dans la commune voisine de Ste Rose, événement gratuit dans lequel on a pu voir Johnny Clarke sur scène cette année, et Isiah Shaka, un Montpelliérain qui n'a pas hésité à traverser les 10 000 km qui séparent Ste Anne et Montpellier. Leur rencontre s'est faite à l'occasion de la tournée française de Ti Rat en 2008. « On avait un ami en commun qui m'a proposé de le produire à Montpellier dans la salle de concert où je travaille, raconte Isiah Shaka. Dans un esprit familial, j'ai hébergé le groupe chez moi et des liens forts se sont tissés. » Depuis, chaque passage en France est l'occasion pour Ti Rat & Rouge Reggae de jouer à Montpellier et ses environs. Isiah Shaka fait le trajet inverse en 2013, invité par Ti Rat à se produire au festival Uprising Roots Reggae, à Ste Rose. « J'ai pu découvrir les beautés de l'île, ses richesses, mais aussi partager les difficultés et les problèmes que les Réunionnais rencontrent au quotidien : la vie chère, le chômage, le transport... La musique tient une grande place, hip-hop, reggae, maloya, les âmes ont besoin de s'exprimer face à l'histoire d'hier et d'aujourd'hui ! Ce blues créole et cette révolte me touchent car ils vivent en moi également. »

La Réunion a embrassé le reggae, certes, mais le dancehall n'est pas en reste. Le travail de DJ Lokal, par exemple, a ouvert la voie à plusieurs artistes. Le plus emblématique et le plus connu d'entre eux est probablement Kaf Malbar. Nous le rencontrons dans un lieu que tous les musiciens de l'île connaissent : le village jeune du Chaudron, qui a vu naître nombre de jeunes artistes dans plusieurs disciplines (reggae, dancehall, hip-hop, graff et danse).
Son accueil est simple, naturel et chaleureux. Car le succès de Kaf Malbar ne l'a pas changé : « Je suis quelqu'un de carré, de droit, j'ai les pieds sur terre (…) Le secret pour réussir, en tous cas pour moi, c'est de faire les choses au feeling. La musique dépasse tout le reste. » Son point de départ est une rencontre avec DJ Lokal dans un atelier, où il découvre le dancehall. Il commence à écrire ses premiers textes en créole et à sa sortie prend le micro dans son quartier, la cité cow-boy du Chaudron avec son ami Babylusion. A cette époque, le collectif CEDC est actif là-bas et James, un des pionniers mouvement hip hop de l'île laisse leur chance aux jeunes. Kaf Malbar saura leur parler : « Je crois que j'ai fait partie des modèles pour les jeunes qui voulaient se lancer dans la musique parce que je composais et chantais en créole. Ca collait à l'époque avec le langage et la manière de chanter ».
Kaf Malbar – I vé mi less :
Pourtant, son premier album qui sort en 2001 est formaté pour les radios. Même son nom est transformé : il devient KM David, ce qui ne lui plait pas : « Je me suis dit que si je devais me plier pour rentrer dans le système, je le ferais, mais une fois installé, libre à moi d'être ce que je veux, de faire ce que j'ai envie ! » Il remet donc les choses en place pour le deuxième album et décide de produire le troisième lui-même. Sorti l'an dernier, l'album "Subliminal" sera peut-être le dernier. Kaf Malbar souhaite désormais laisser ses morceaux en téléchargement sur Internet. C'est le concept "Tombé du Camion" : « C'est un super concept, je suis le seul à le faire sur l'île ! Tu donnes tes sons gratuitement et au compte-goutte, au public et aux radios, ça te laisse le temps de travailler. Finis, les problèmes de production et de marketing et tu remplis tes concerts ! »
Kaf Malbar – Subliminal :

Fusion de reggae, rock, soul et folk, Toguna est à l'image de La Réunion, terre de métissages. Le groupe naît de la rencontre de Sila, Daoud et Kingsley, venant respectivement de France, du Port dans le nord de l'île et de l'île Maurice. « Toguna, c'est la rencontre de trois styles différents, c'est ce qui donne au groupe une saveur particulière ». En 2007 sort le premier album qui dépasse les frontières du département : il est même sorti au Japon avant d'être dans les bacs de la Réunion ! Après une tournée en Australie, au Japon et en France, le deuxième album est enregistré à Londres. Les rencontres sont nombreuses et des collaborations avec Patrice, Xavier Rudd et Blue King Brown laissent entrevoir un avenir international. Avec des textes en anglais, le groupe fonctionne très bien à l'étranger. « On a compris qu'il fallait réussir à sortir de l'île pour faire évoluer notre musique, y apporter des sons et des notes différentes ». Toguna achève actuellement son troisième album, réalisé en totalité dans leur home studio et prévu pour sortir en fin d'année 2013.
Toguna – In Colours :
La Réunion, c'est aussi la nouvelle génération :
Pix'l - Alé Aou :
Alaza – Nou Vé riddim
Coqlakour riddim volume 5 :
Ti Greg - Mighty Lion :
Et aussi :
Malkijah - Pas à pas
Letoyo – Pachamama
Verzonroots – Celui qui conduit, c'est…
La scène réunionnaise est aussi riche que variée. Si vous êtes curieux, nous vous conseillons d'écouter Kultur Lamour, Loic Painaye, Black Nation, Elvijah et Miojah, Roots Band, Daddy Nesta ou le Rocksteady Sporting Club, qui font vivre le reggae à La Réunion.
Article écrit par Benjamin Leboyer
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