INTERVIEW : MO'KALAMITY
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : Franck Blanquin
le mardi 12 novembre 2013 - 180 788 vues
Grand sourire, regard intense, Mo'Kalamity ne laisse personne indifférent. Quand on s'installe dans un troquet parisien pour démarrer l'interview, les compliments affluent. Mo'Kalamity est une personnalité artistique bien tranchée dans le paysage du reggae : « Quand on chante, on ne peut pas se cacher, c'est le souffle qui sort… Ça m'intéresse de méditer et de me poser des questions. J'essaie d'être éveillée à ce qui m'entoure. »
Après avoir défendu "Deeper Revolution", son précédent album qui appelait à un "réveil urgent des consciences", "Freedom of the Soul" suit le même fil rouge. Entretemps, Monica a appris la guitare avec Kubix :« Avant, j'avais tout dans la tête et j'ai eu envie de m'accompagner d'un instrument. J'ai été à bonne école ! Je me suis mise à gratter, à inventer, et à poser les premières fondations des morceaux. » Mis en musique avec les Wizards et Fabwise en ingénieur du son, "Freedom of The Soul" frappe par sa beauté, sa musicalité, et sa spiritualité. Entretien.
Reggaefrance / "Freedom of the Soul" semble dans la continuité de "Deeper Revolution", tu l'as écrit dans un même état d'esprit ? / C'est tout à fait ça. Arrivée à ce troisième opus, je voulais remettre un accent sur nos possibilités, nos capacités à changer les choses et mettre l'accent sur notre âme : on est décisionnaire. Tout dépend de nos états d'esprits, qui peuvent nous conduire à agir… Ca dépend vraiment de notre esprit, de ce qu'on y met, de ce qu'on a au fond de notre âme, et tout le positif qu'on peut y mettre. On use de moins en moins de cette liberté. On a peur, peur de s'engager, peur du changement, peur de l'autre… On est beaucoup dans la peur au lieu de se recentrer sur ce qui est essentiel, et au lieu de partager ce qui est essentiel. Malheureusement, à travers ce conditionnement, que ce soit la télé ou la place que peut prendre Internet, on a tendance à s'oublier et à se dire que les choses sont ainsi, que le monde moderne est fait ainsi.
Et qu'on ne pourra pas le changer… Ce n'est vraiment pas une fatalité. Tout dépend de ce que nous faisons chaque jour, des décisions que nous prenons chaque jour. Il est temps de réfléchir sur cette montée d'intolérance, cette banalisation du mauvais. C'est cette notion de choix que je voulais traduire : ces sentiments qu'on a en nous, la manière dont on les tourne, dont on les nourrit… Il est temps de se nourrir de choses positives, pour créer de l'empathie envers les autres.
L'album commence sur le titre Frontline, qui donne un peu le ton de ton attitude militante, de combat. Je pense qu'on est arrivé à la fin d'un système, d'un monde économique qu'on essaie de nous imposer et qui divise profondément les peuples. Le non-partage des richesses incitent les peuples à la migration, du coup à l'intolérance et au rejet de l'autre… Frontline est un peu un retour… On a vécu beaucoup de choses à travers les siècles, beaucoup de répétitions et depuis un siècle c'est effroyable, alors qu'on est censé progresser. Tous ces événements sont Inscris dans nos livres d'histoire, maintenant, quelle histoire allons-nous écrire et laisser à la génération future ? Si c'est pour qu'elle soit répétée… Ce n'est pas forcément une fatalité. On a une conscience, une pensée. On est vivants, on peut penser réfléchir et communiquer des émotions.
Je travaille avec des musiciens talentueux et consciencieux. Chacun a été au bout de son instrument, à chercher des sonorités. La dimension spirituelle Rasta est plus marquée sur cet album, par exemple avec le morceau Jah Live. J'ai envie de porter un message. On recherche la sagesse, la lumière qui nous guide chaque jour. C'est certain que j'ai puisé ma force dans ma foi, et j'ai envie de le clamer parce que c'est ce qui me porte chaque jour. Dans Jah Live, j'avais envie de recadrer certaines choses. Il y a beaucoup de guerres de religion, de terrorisme, d'églises évangélistes qui se montent un peu partout et qui vont surtout se servir de la misère pour exploiter les autres à travers la religion. Dans Jah Live, j'avais envie de donner mon point de vue. Ce ne sont sûrement pas les actes de ces gens qui exploitent et détoure Son nom qui justifient Son amour. Ce n'est pas ça, l'amour de Jah. Dieu vit en chacun de nous, mais sûrement pas de la manière dont certains essaient d'imposer leur foi aux autres. On peut voir les dégâts que cela peut faire dans le monde entier : des églises qui s'implantent en Afrique, des terroristes qui utilisent le nom de Sa Majesté pour imposer leur violence…
L'album frappe par sa musicalité : flûte traversière, violons, le résultat est superbe. On ne fait pas souvent des albums… J'avais envie de faire un bel objet et qui sonne bien, comme j'ai pu l'entendre sur des albums qui m'ont donné envie de faire du reggae, ressentir cette puissance dans la musique à travers un album. Je travaille avec des musiciens talentueux et consciencieux. Chacun a été au bout de son instrument, à chercher des sonorités… Ils se sont vraiment impliqués dans le travail de cet album.
Chanter en anglais ou en français change-t-il ton écriture ? Ça n'a rien à voir. Ce qui m'intéresse dans la musique, ce sont les sonorités, les vibrations et le son. Souvent les mélodies me viennent en anglais. C'est une langue qui est malléable, à la différence du français. C'est une autre manière de faire swinguer la langue. Elle est peut-être plus riche dans la manière de s'exprimer, mais c'est un autre travail dans sa musicalité. Je n'aime pas trop réfléchir à ce que je fais, car je veux garder une part d'instinct dans ma musique. Et c'est l'anglais qui vient en premier.
Le morceau en français, Nuances, parle d'accepter l'autre dans sa différence. Quel regard porte-t-on sur les autres ? Pas la couleur de la peau mais ce qu'on a en nous, ce qu'on véhicule, nos convictions. Malheureusement, dans certains endroits en France ou dans le monde, des regards peuvent être pesants, il y a beaucoup d'a priori, et ça met un frein aux relations qu'on peut avoir les uns envers les autres. L'être reste l'être dans ce qu'il est : les défauts qu'il peut y avoir ici chez certaines personnes, on peut les retrouver à l'autre bout du globe. Avec tous ces préjugés, on ne fait que perdre son temps. C'est l'ignorance de ce qu'on devrait être et partager réellement. Nos combats ne sont pas là. La couleur de peau est très superficielle, mais c'est aussi très réel… Cette chanson m'a été inspirée par un regard qui n'était pas forcément méchant, mais trop appuyé. Ce sont ces regards qui me rappellent sans cesse la couleur de ma peau… Le combat n'est pas là, il est dans notre civisme, dans la façon dont on se tolère, mais certainement pas dans notre couleur de peau.
Cima Vento, que tu chantes en créole capverdien, est un hommage à ton pays natal ? J'avais envie de faire un morceau qui parle à tous les Cap Verdiens, je voulais exprimer ce sentiment des gens qui quittent leur terre et veulent se reconnecter avec leurs racines. C'était une pensée pour mes parents, mes grands-parents, et tous ces Africains qui sont en mouvement autour du globe. Cette envie s'est réalisée juste après notre passage là-bas, en 2010. Dans le refrain, je dis que je veux me reconnecter avec cette partie de moi qui indéniablement est restée là-bas parce que ce sont mes origines, et on ne peut pas s'en couper. "Cima Vento" veut dire "comme le vent", c'est pour traduire ce mouvement.
On t'entend aussi sur les compositions d'autres producteurs (Blackboard Jungle et RockDis, Barbès D, Junior Cony…). Tu aimes changer d'univers musical ? A travers un album, on est vraiment centré sur soi, sur ce qu'on ressent. Quand on me propose des collaborations où je n'ai pas composé, de rencontrer l'univers de quelque d'autres, ça me plait. On explore d'autres choses, c'est très intéressant. J'ai une préférence pour la fin des années 70, où pour moi c'est le summum, une période bénie, mais j'aime le reggae dans son ensemble. Tant que je suis inspirée, tout est possible !
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