INTERVIEW :
Propos recueillis par : Olivier Godin et Guillaume Nahry
Photos : Olivier Godin
le mercredi 14 décembre 2005 - 22 183 vues
Incarnation de la bonne santé du reggae made in Germany, Patrice (aka Patrice Bart-Williams) a franchi une marche supplémentaire en terme de notoriété grâce à son dernier album "Nile", sorti en avril dernier. Le samedi 17 décembre, le jeune chanteur-compositeur achèvera sa tournée sur la scène du Zénith, à Paris. En allemand, en anglais et en patois jamaïcain, Patrice nous présente l’événement et tente de décortiquer son succès.
Reggaefrance / Toute ta tournée s’est jouée à guichet fermé, ton titre phare, Soul storm, a été largement diffusé sur les ondes, tu es même apparu sur une chaîne de télé française… "Nile", ton dernier album, t’a véritablement propulsé en haut de l’affiche. Y a-t-il une raison à ce succès ? / "Nile" n’est pas meilleur ou plus mauvais que mes albums précédents. Il s’inscrit par contre davantage dans l’air du temps que mes autres opus. Après le très abouti, "How do you call it", j’ai souhaité réaliser quelque chose de plus humain. J’ai enregistré en analogique et réduit au maximum la post-prod. J’ai employé les mêmes méthodes de travail qu’à mes débuts. On retrouve, je pense, la même atmosphère que sur "Lions" (le premier Ep de Patrice sorti en 1999). Ce retour aux sources a plu. C’était le bon moment. Tant mieux.
Tu es probablement plus populaire en France qu’en Allemagne ton pays natal. Le samedi 17 décembre, tu mettras d’ailleurs un terme à ta tournée internationale avec le Shashamani Band, au Zénith, à Paris. As-tu une réelle préférence pour le public français ? Le paysage musical français est riche et diversifié. Chez vous, les gens sont plus réceptifs aux innovations. J’ai eu le sentiment d’être très vite accepté. Mon style n’a pas choqué. En Allemagne, en revanche, les artistes ont tendance à ne pas innover mais à copier un modèle déjà existant. Lorsqu’on apporte quelque chose qui sort des sentiers battus, il faut presque se justifier. Les Allemands ont besoin de temps pour apprécier.
Pourtant, la scène reggae et hip-hop en Allemagne affiche une santé de fer avec des artistes tels que Gentleman, Seeed ou Puppetmastaz… Comment tu positionnes-tu par rapport à cette nouvelle vague ? Je n’ai jamais essayé de m’identifier à une quelconque mouvance. Même quand le reggae s’est popularisé, j’ai pris garde de me tenir à l’écart. Je tiens à ma différence. D’autre part, je refuse de me définir en fonction de ma nationalité. Je n’adhère pas aux concepts de pays, ou de frontière. Le monde est ma patrie. J’appartiens au peuple des gens vrais, sincères, honnêtes dans leurs actes. Peu importe d’où ils viennent.
Le 17 décembre au Zénith de Paris, tu réserves plusieurs surprises à ton public. Tu accueilleras, notamment les rappeurs du Saïan Supa Crew. Comment est née cette collaboration ? J’ai croisé le Saïan à plusieurs reprises durant des festivals. Le contact est tout de suite bien passé entre nous. Sur scène, ils sont incroyables, vraiment impressionnants. Je n’avais jamais vu de tels artistes auparavant. On avait tenté plusieurs fois de faire quelque chose ensemble, mais ça n’avait pas fonctionné. Puis, un jour, ils m’ont appelé. Ils avaient la chanson (96 Degreez sur leur dernier album "Hold-up"). Je n’ai pas hésité.
Tu travailles avec des artistes hip-hop, tu puises tes influences dans le reggae, tu sembles apprécier également la soul ou le funk… Les critiques aiment à dire que ton style est indéfinissable. Es-tu d’accord avec eux ? Je fais du black folk, du millenium folk (rires). En réalité, je n’essaye pas de coller à un style dans ma manière d’écrire. Je ne veux pas faire du reggae pour faire du reggae. Mon but est d’exprimer un sentiment avant tout. Si c’est l’agressivité par exemple, j’adopterai le style rock. Après, il est vrai que je me suis investi dans des projets radicalement reggae avec le collectif Silly Walks Movment par exemple. J’avais envie de le faire sur le moment. Mais, je vais de l’avant. Je cherche toujours de nouvelles choses à accomplir sinon c’est l’ennui qui s’installe. Tous les grands artistes se sont construits en renversant les frontières établies. Regarde Hendrix par exemple.
Tu cites Hendrix. Y a-t-il d’autres artistes que tu admires et dont l’œuvre constitue pour toi une réelle source d’inspiration ? Max Romeo, Bob Marley, bien sûr, sont des personnages qui disposent d’une aura particulière. Inconsciemment, même si je ne l’ai jamais recherché, leur style m’influence. Sinon, en plus d’Hendrix, je peux ajouter sur la liste Billie Holiday, John Lennon ou encore Stevie Wonder. Ils font partie des grands de la musique.
Et sur la scène actuelle, vois-tu des artistes qui pourraient devenir les grands de demain et avec qui tu aurais envie de collaborer ? J’ai eu l’honneur d’enregistrer un titre avec Keziah Jones (Her again sur "Nile"). C’est pour moi l’un des artistes les plus talentueux du moment. Je souhaitais vraiment travailler avec lui. Ce type de collaboration ne peut qu’être enrichissant. D’une manière générale, je choisi mes featurings en fonction de l’intérêt musical qu’ils génèrent et non pas en fonction du pognon qu’ils pourraient me rapporter.
Les albums de Capleton ou de Sizzla figurent en bonne position dans ta discothèque. En France plusieurs de leurs concerts ont été interdits, leurs textes ayant été jugés homophobes. Que penses-tu de cette affaire ? Dénigrer les gens n’est pas une bonne chose. Je préfère davantage les juger sur leur nature profonde. Peu m’importe qu’ils soient noirs, blancs ou homos. En revanche, je trouve l’interdiction de ces artistes hors de propos. Si on veut censurer l’intolérance, il faut aller jusqu’au bout. Pourquoi ne pas sanctionner les dérives verbales de certains ecclésiastiques ? Pourquoi ne pas punir davantage la discrimination raciale à l’entrée des boîtes ? Franchement, diaboliser les chanteurs jamaïcains, c’est un peu trop facile.
Dans tes textes, l’amour est omniprésent. Cela semble d’ailleurs faire mouche auprès de la gente féminine qui se déplace en masse à chacun de tes concerts. Que réponds-tu à ceux qui te qualifient de chanteurs pour midinettes ? L’amour est ma spiritualité. J’aime parler d’amour aux filles. C’est naturel, non ? J’aime les regarder. Et si elles sont françaises, c’est encore mieux (rires). Et puis je me dis, que si les filles sont là, les mecs viendront. Non sans déconner, y a plus grave comme problème. Mais à la limite, je préfère que les filles viennent me voir plutôt qu’elles aillent à la StarAc. Je ne m’inscris vraiment pas dans la lignée de ces chanteurs pour nana sans contenu. J’ai un message. Je souhaite éveiller les consciences. J’essaye de faire bouger les choses à mon niveau.
Gaston Bart-Williams, ton père, était un écrivain engagé dans son pays, la Sierra-Leone. Il a d’ailleurs été contraint à l’exil. Es-tu impliqué dans des projets humanitaires en faveur de l’Afrique ? Quand tu t’engages, tu le fais par conviction mais pas pour en parler. Je le fais naturellement, sans prétention.
Après ton ultime concert au Zénith, que vas-tu faire ? As-tu déjà des projets dans les cartons ? J’ai beaucoup bossé en 2005 et l’année prochaine, j’ai prévu de me reposer un peu. Un DVD live sur la tournée devrait tout de même sortir d’ici peu. Il y aura d’ailleurs de nouveaux morceaux à l’intérieur. Mais je reviendrais vraiment en 2007 avec un nouvel album studio.
Pour terminer sortons un peu de contexte musical. Les Allemands ont été appelés aux urnes récemment. Que penses-tu du résultat et de la nomination d’Angela Merkel au poste de chancelier ? (Eclats de rire). Elle n’aurait jamais été élue sans Photoshop ! Ils lui ont intégralement retapé le portrait sur ses photos officielles ! Ça a donné lieu à un gros scandale en Allemagne. Les politiciens avant tout sont des menteurs. Angela Merkel est la première femme chancelier et elle sera également la dernière. Pour redresser la situation, il faudrait beaucoup de sacrifices et en Allemagne, personne n’aime les sacrifices…
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