Propos recueillis par : Sebastien Jobart
Photos : Benoit Collin
le mercredi 08 février 2006 - 12 679 vues
Révélation de l'année 2004, I Wayne fait partie de cette nouvelle génération de chanteurs à textes conscients quand ce n'est pas mystique, sur lequel beaucoup d'espoirs étaient placés. Dans la foulée de ses deux hits Can't Satisfy Her et Living in Love, il signe avec le géant VP et sort rapidement son premier album, "Lava Ground". Concentré sur le marché américain, I Wayne n'est venu qu'une seule fois en Europe, et c'est à Londres que nous sommes allés le rencontrer cet hiver. Lors du Lava Tour, sa prestation lui a valu une chaude réaction du public anglais. Même si pour l'heure, aucun single n'a pris la relève dans les charts…
Reggaefrance / Parle nous de tes débuts. / J'aime la musique depuis très longtemps. En fait, j'ai commencé dans ma salle de bains, à chanter des chansons. Ma famille m'encourageait, même si quelques personnes ont essayé de m'en dissuader. Mais j'ai persévéré. J'ai fait quelques sound systems par ci par là… Diamond Crew, The Mighty Legends, Chalice International… C'était à Portmore et à Spanish Town. Des concerts à la campagne, dans les collines. De quoi me préparer. Depuis, disons 1995 jusqu'à maintenant. J'ai commencé à fréquenter les studios, à enregistrer quelques chansons, prendre de l'inspiration. A me construire une expérience… Graduellement, tu vois ? J'ai grandi petit à petit, et je grandis toujours. Car on apprend toujours.
Tu as démarré dans un groupe, The Vibe Machine… Ce n'était pas vraiment un groupe, plutôt un groupe d'école. On chantait pour les kermesses, on donnait quelques concerts.
Ta carrière solo a démarré grâce au retard de tes partenaires, peux-tu revenir là-dessus ? Je me suis rendu à un club pour y donner un concert, mais les autres étaient en retard. On m'a dit : "vas-y, monte seul." Mais je voulais attendre les autres. Mais le temps passait, et il m'ont dit : "monte sur scène parce que le public s'impatiente". Je suis donc monté seul sur scène. C'était la première fois. C'était à Portmore dans une boîte de nuit qui s'appelait le Cactus. Et depuis, je n'ai jamais arrêté. Le groupe s'est séparé ensuite car certains sont partis.
Beaucoup d'artistes viennent de Portmore, Frisco Kid, Bascom X… Oui il y aussi Firestar, Inibal. Moi je suis entre Portmore et Kingston, mais Firestar reste exclusivement à Portmore. Malgré ça, on a fait beaucoup de scènes ensemble. Il est sur mon album (la chanson Conquer, ndlr).
Tu les connais depuis longtemps ? Oui, et je les vois toujours, même si on donne chacun des concerts. Il faut garder une vibe "rootical". Les racines sont la base, il ne faut pas les perdre. Bascom X, ça fait longtemps.
Quel regard portes-tu sur l'émergence de cette nouvelle génération à laquelle tu appartiens ? Honnêtement, ça a toujours été comme ça. Je ne suis même pas surpris. La musique est la Vie et rien ne peut l'empêcher. Ce sont les vibrations Binghi d'Afrique qui sont toujours là.
Nous sommes très unis, et travaillons en harmonie. La plupart de ces artistes ne sont pas trop assoiffés de succès, et avides de gains.
En signant avec VP, ton but est d'attirer l'attention du marché américain ? Ils m'ont bien reçu. Je ne peux pas dire que je ne suis pas le bienvenu. Tout le monde semble m'apprécier là-bas. Ils sont reconnaissants. C'est leur style de chanson, ils aiment les chansons rootical.
Il y a plusieurs thèmes forts sur ton album. D'où tires-tu ton inspiration ? Je ne fais que chanter la Vie. Cela me vient du vent, qui est une inspiration naturelle. La Terre, la Vie... De l'environnement, de tout ce qui m'entoure. C'est facile. Il faut t'inspirer des choses réelles qui t'entourent. C'est manifeste : tout existe déjà. C'est tellement facile, tu n'as qu'à regarder autour de toi
On ne fantasme pas : on regarde le livre de la Vie qui est sous nos yeux. C'est différent d'une feuille de papier que tu peux déchirer. Je garde tout ça comme un livre, c'est la connaissance de la vie.
Et pour les mélodies ? La mélodie me vient en premier. La mélodie, c'est comme la Vie, c'est le cœur de la musique. Tu ne fais qu'ajouter des mots sur une mélodie. On ne veut pas y mettre autre chose. On veut le faire correctement, que tout soit équilibré. Pour nous c'est un enseignement que l'on veut continuer à dispenser.
La chanson Bleacher parle des Noirs qui se font blanchir la peau. C’est presque devenu une mode, qu’en penses-tu ? Il y a beaucoup de gens qui font cela en Jamaïque. La morale de cette chanson est donc : aimes-toi tel que tu es. Pourquoi parler de blanc ou de noir d’ailleurs, car c’est le même sang qui coule dans leurs veines. C’est le soleil qui donne la couleur des gens. C’est juste une question de conditions climatiques qui déterminent la pigmentation des hommes. C’est naturel. Entre noir et blanc, il s’agit simplement d’une différence de niveau de mélanine. C'est dû aux conditions climatiques. Tu ne peux pas lutter contre ce que tu es, c'est la vie, et tu dois aimer la vie. C'est pour ça que j'ai écrit cette chanson : tu ne dois pas te blanchir la peau, tu dois t'aimer comme tu es.
Faire ça, c'est renier son identité. En faisant ça, tu ne respectes pas la vie. Tu ne rends pas grâce à ce que tu as, et qui est bon. Tu n'es plus toi-même, tu ne fais que vouloir ressembler à quelqu'un que tu n'es pas.
Il y a aussi la chanson Kid Artist… C'est simple. Certains se comportent comme des enfants. Ils prennent tout à la légère. Ce manque de sérieux peut devenir malveillant. Je parle des hypocrites, de ceux qui se montrent, qui parlent alors qu'il leur faudrait tourner sept fois leur langue dans leur bouche ("hypocrites haffi turn a mile and talk").
Ils ne peuvent pas parler en face, parce qu'ils savent que ce sont des menteurs. Je dis qu'ils me traitent de "dry land shark" (grande gueule inutile, ndlr). C'est une formule humoristique. Il n'y a rien de tel.
Cette chanson s'adresse donc aux hypocrites : tu essaies d'être ce que tu n'es pas en mentant mais ça ne marche pas avec moi. Quand tu ne dis pas la vérité, tu ne peux pas rester face à moi. Ce n'est pas la question d'amener une rivalité entre les artistes, mais un appel à faire de la musique correctement. Ne te fais pas passer pour un rappeur. Ton père, ta mère, tes grands-parents, les enfants écoutent la musique. Donc tu dois la faire correctement.
Kid Artist, c'est pour dire "bun out hypocrites", c'est aussi simple que ça.
Tu était annoncé en France l'été dernier, au Ja'Sound Festival. Que s'est –il passé ? (Son manager, Sonny Spoon, intervient) : il ne s'occupe pas de ça.
La raison officielle annoncée était que tu n'étais pas prêt. Il y a des publics différents en fonction des endroits où l'on va. En Jamaïque, les gens sautent, ailleurs ils peuvent être plus calmes, ils écoutent. De toutes façons, mes chansons sont des enseignements, et pas un simple divertissement à la mode.
Tu préfères le studio ou la scène ? C'est le même travail, ce que tu fais en studio, tu dois le prolonger sur scène pour promouvoir ta musique. Le travail en studio te permet d'amener des bonnes mélodies sur scène. Car sur scène, tu ne peux pas tricher. Maintenant avec Pro Tools, beaucoup corrigent leur voix, et ce n'est pas authentique. Moi je ne modifie pas ma voix sur ordinateur, même un petit peu. On enregistre et on laisse les voix naturelles et authentiques. Et c'est pour ça que je peux avoir la même qualité sur scène qu'en studio. Je suis même meilleur sur scène.
Quand te verrons-nous en France ? Tout est possible (rires). Je ne veux pas me presser. Je viendrais bientôt.
|