Propos recueillis par : Romain Nicod et Benoît Collin
Photos : Benoit Collin
le mercredi 07 juin 2006 - 18 294 vues
Artiste bien connu de l'underground parisien, Mad Killah sort aujourd’hui son premier street cd, ‘‘Madness’‘, aux côtés de l'équipe de Demolisha. Si son nom est familier de beaucoup d'amateurs de dancehall francophone via ses multiples participations sur des compilations, Madness devrait étendre encore sa notoriété. D'autant plus que tous les protagonistes de ‘‘Madness’‘ se retrouveront cet été pour mettre au point son premier album solo.
Reggaefrance / Cela fait un certain temps que tu évolues dans l'univers du reggae-dancehall. Qu'est-ce qui t'a incité à entamer une carrière d'artiste ? / En effet, je suis immergé dans ce monde depuis maintenant 12 ans. Au départ je n'étais qu'un simple auditeur. On me passait des K7 de sounds systems jamaïcains sur lesquels on pouvait retrouver des DJ tels que Charlie Chaplin et Admiral Bailey entre autres. Au fur et à mesure que le temps passait je me suis de plus en plus intéressé à ce milieu Je passais tout mon temps à écouter les nouvelles sorties et je cherchais à me procurer des vidéos. Je me rappelle notamment des Sunsplash et de Shabba Ranks. C'est durant cette période que j'ai su que je voulais faire du dancehall. Puis j'ai découvert des DJ français comme Saï Saï, Pablo Master, Tonton David, au travers des freestyles diffusés sur radio Aligre. C'est seulement après avoir écouté tous ces artistes de la scène francophone que j'ai eu le déclic et que j'ai commencé à écrire mes premiers lyrics en compagnie de Leevayah B. Depuis j'ai persévéré car j'aime ça. Que je perce ou non je continuerai toujours à poser.
Comment as-tu choisi ton nom ? Tout est dans la folie, même si au final je ne suis pas si fou que ça. Et puis, un fou ne dira jamais qu'il est fou ! Tout simplement j'ai toujours apprécié le mot Mad et le mot Killah peut être aussi grâce à des Dj comme Mad Cobra et Bounty Killer. J'ai synthétisé leurs noms respectifs pour créer Mad Killah.
Quelles sont tes influences musicales ? En premier lieu le dancehall. J'écoute également beaucoup de reggae bien que je pose principalement sur du dancehall. Shabba Ranks puis par la suite Beenie Man, Mad Cobra et Bounty Killer sont les artistes qui m'ont le plus influencé. Je me rappelle également de l'arrivée du Scare Dem et de ses vidéos. C'était vraiment une grosse époque
En ce moment, qu'est-ce que tu écoutes ? En ce moment j'écoute Mad Killah sur le Purple Thing riddim. Il s'agit d'un riddim roots produit par Back to Zion, je l'écoute en boucle depuis une semaine.
Quels sont les différents projets auxquels tu as participé en 12 années de carrière ? Je faisais du dancehall mais j'ai d'abord posé sur des petites mixtapes hip hop produites par un gars de Sarcelles, intitulées ‘‘Freestyle King’‘. A l'époque on avait un crew qui s'appelait Sixième Sens. Il était composé de deux toasters, Leevayah et moi-même et de deux rappeurs, en l'occurrence Debel et Dob. Ces derniers ont rencontré des difficultés qui ne leur ont pas permis de poursuivre l'aventure. Avec Leevayah nous avons été épargnés par ces problèmes, ce qui nous a permis de continuer de notre côté. Il y a eu ensuite le Crazy Ragga Mix, produit par Rodger de Maffee suivi de près par une période où j'étais très actif dans le milieu des sound systems et où j'ai participé à différents projets de compilations.
En ce qui concerne les 45 tours, je me souviens de ma première réalisation : Je n'attendrai pas la venue du Messie produit par Soweedo. Les différents projets auxquels j'ai participé se sont ensuite enchaînés avec notamment la compilation ‘‘Bakchich’‘ en 2003 qui comprenait de gros riddims jamaïcains comme le Star Wars, le Judgment, le Glue… Les compilations ‘‘Universal Dancehall’‘ 1 et 2 sortis respectivement en 2004 et 2005, les différentes mixtapes de Demolisha qui ont également été bien diffusées, et me voici en 2006 avec mon street cd ‘‘Madness’‘ !
Quels sont les détails qui te motivent pour participer à un nouveau projet ? Je pose beaucoup avec des gens que je connais, le côté affectif est prépondérant dans le choix de mes participations. Tout à l'heure je te parlais de Back To Zion, il s'agit en l'occurrence de l'un des premiers sounds à m'avoir enregistré il y a maintenant déjà six ou sept ans, après un soir aux Divan du monde où ma prestation s'était bien passée. Ils m'ont appelé récemment pour poser sur le Purple Thing riddim, j'ai accepté sans la moindre hésitation. A côté de ça, il y a beaucoup de petits jeunes de Sarcelles qui ne me connaissent que de nom et qui me contactent pour poser. J'accepte afin de leur donner la force, bien qu'ils n'ont pas un chiffre important. Cependant, tout dépend de la vibe que la personne me donne, si je ne connais pas la personne et que le riddim me plaît je pose, à condition que je reçoive une bonne vibe. Tu as beau me présenter un gros projet, je ne poserai pas dessus si je ne connais son initiateur et que le courant passe mal avec lui.
Tu toastes beaucoup en français alors que la tendance actuelle est plus à l'inverse de poser en créole. Est-ce pour te démarquer ou toucher un plus large public ? Je suis Martiniquais mais j'ai grandi à Paris. Mes premiers textes ont été rédigés en Français et aujourd'hui encore la grande majorité de mes paroles demeure rédigée en Français. Je ne fais pas partie de ceux qui suivent les modes, ce n'est pas parce que le créole est devenu plus ou moins à la mode que je vais suivre cette tendance. De même, il ne s'agit pas non plus d'un choix technique pour toucher un plus large public. D'ailleurs la majorité des textes d' Admiral T et de Krys sont en créole, ce qui ne les empêche pas d'avoir un public conséquent. En fait si je chante plus en Français c'est tout simplement parce qu'il s'agit de la langue dans laquelle je suis le plus à l'aise.
On t'a accusé d'être le copycat de Daddy Mory. Que réponds-tu à tes détracteurs ? C'est du n'importe quoi, Mad Killah a toujours été Mad Killah, je ne me suis jamais pris pour Daddy Mory. Il y a peut être des ressemblances au niveau de la voix mais pas au niveau des textes. Comme tout le monde, j'ai beaucoup écouté Raggasonic, ça m'a sûrement influencé. Mory c'est Mory, moi c'est moi. On fait chacun nos choses. Ces propos ont démarré depuis qu'on a fait une combinaison sur ‘‘Universal dancehall’‘ parce qu'avec tous les 45 tours que j'avais faits avant et tous les riddims sur lesquels j'ai posé, on ne m'avait jamais dit que mon style était identique à celui de Mory. Il y a même des gens qui ne me connaissaient pas forcément et qui pensaient que Mory était seul sur le morceau ‘‘Atomic Dogz’‘ alors que pour ma part, je note un réel changement de voix quand ma partie arrive.
Quelle est ta vision de la scène dancehall actuelle ? Pour moi c'est tout bon ! La scène évolue mais je ne sais pas si ça se répercute sur le marché. Quoiqu'il en soit je constate qu'il y a de plus en plus de monde qui rejoint le mouvement. Les grosses soirées antillaises qui diffusaient principalement du zouk à la base jouent aujourd'hui 90% de dancehall. A côté de ça, il y a également beaucoup de DJ qu'on ne voit pas dans les sound systems mais qui mixent du dancehall en soirée. Ce phénomène est vraiment positif, car tant que les gens sont là pour transmettre un message, mettre une bonne ambiance où inciter à faire la fête, c'est bon.
Le seul bémol, c'est qu'à l'époque où j'ai commencé on répétait plus nos textes avant d'aller poser un 45 tours. Aujourd'hui les petits jeunes ont des plans pour aller poser, mais ils n'ont ni textes, ni technique. Ils répètent peu leurs textes et se rendent trop peu en studio. Ces jeunes manquent à la fois d'expérience, de maturité et de professionnalisme. Parfois, c'est la première fois qu'ils se rendent en studio et leur son se retrouve directement sur une compilation. Mais globalement, j'ai une vision positive de la scène dancehall actuelle.
Quel message essaies-tu de transmettre à ton public ? Le message est toujours le même : ‘‘Plus d'amour, bats toi pour tes droits car la vie est dure’‘. J'essaie de donner au public ce qu'il attend : si le public veut danser, je fais des titres dansants. Par exemple, quand je joue en province, j'ai constaté que les gens sont contents lorsque je chante Le monde crie à l'aide, les gens sont super contents mais ils le sont encore plus lorsque je reviens sur un riddim dancehall. Je pense que le public attend de moi beaucoup de festif.
La scène semble beaucoup te tenir à cœur… Pour moi le plus important, c'est la scène. A chaque fois qu'on me propose de faire une scène, je fais mon maximum pour venir et représenter. J'espère que ce street cd va me permettre de faire encore plus de scène et d'élargir mon public.
‘‘Madness’‘ est mixé par Demolisha. Comment s'est faite votre rencontre et quelles relations entretiens-tu avec eux ? Je les ai rencontrés par le biais de Azrock qui m'a présenté Neasso. J'animais une émission sur Générations avec le Stand Tall, et Demolisha a une émission, le Localize Show, tous les lundis soirs. Je les ai donc également croisés à plusieurs reprises dans les locaux de Générations. J'ai eu entre les mains la mixtape ‘‘Crucial Selection’‘, la ‘‘Hot Summer’‘ de Demolisha. A l'époque j'étais en vacances en Martinique, je l'ai écoutée pendant deux mois dans ma voiture ! J'ai vraiment énormément apprécié cette mixtape, je me souviens notamment des morceaux de Siaka, d'Azrock et de Uman. Dès mon retour, j'ai dit à Azrock que je voulais poser sur la mixtape suivante. Neasso et Helias étaient d'accord. Suite à ça ils m'ont rappelé à plusieurs reprises car ils appréciaient mon travail et nos collaborations se sont multipliées jusqu'à notre voyage au Brésil. Pendant un mois, nous étions toujours ensemble, ça nous a forcément rapprochés.
Quand nous sommes revenus, nous avons continué le travail sur le street cd. Demolisha m'a vraiment supporté sur le projet. Neasso a travaillé dessus tous les jours, il a réalisé le visuel et le juggling. Yass a apporté sa touche au niveau du scratch. Il y a également Siaka avec qui j'ai fait deux tunes qui s'est impliqué dans le projet et enfin Tarko qui travaille beaucoup dessus. Vraiment respect au maximum pour toute l'équipe. Aujourd'hui je peux dire que Demolisha, c'est la famille J'ai deux équipes actuellement, Demolisha et la Showsky Family.
Parle-nous des featurings. Ce street cd, c'est vraiment un travail d'équipe. Daddy Mory, avec qui j'ai l'habitude de travailler, est présent, tout comme la Showsky Family avec Leevayah B et Mister Face. Tanto Nyro, un gars avec qui j'ai grandi et qui est un frère, pose sur Clic Clic Bang. Il y a également Siaka et Gifta, un MC que j'apprécie énormément, Soha avec qui j'avais déjà travaillé par rapport à ‘‘Bakchich’‘ et enfin FÄS, un frère.
Qui a été décisionnaire au niveau de la réalisation du Street CD ? Je suis décisionnaire sur le projet. On m'aurait dit de faire d'autres featurings, je n'aurais pas été d'accord. J'ai choisi mes riddims et mes thèmes, j'ai tout fait de A à Z.
As-tu accordé plus d'importance aux riddims ou aux lyrics ? Les riddims ont joué un rôle capital dans la réalisation de ‘‘Madness’‘, ils ont d'ailleurs inspiré les textes. La réalisation a pris du temps, il y a donc des riddims qui sont déjà sortis depuis un an mais il y a également des riddims tous frais qui sont d'actualité.
Dans Ils pourrissent notre mouvement, tu critiques certains acteurs du milieu reggae-dancehall, peux tu nous en dire un peu plus ? A la base je voulais parler des promoteurs de concerts, car par expérience je sais qu'il y en a un grand nombre qui font mal leur boulot. J'ai fait plein de dates en province et il n'était pas rare qu'ils ne paient pas ! Donc forcément, ils pourrissent notre mouvement car ils donnent des salles à des artistes qu'ils ne prennent pas au sérieux. Par la suite j'ai étendu le sujet aux DJ et à un phénomène qu'on a pu voir beaucoup sur Paris à une certaine période où des gars venaient dans les sounds systems pour dépouiller les autres. Ils venaient plus pour foutre la merde que pour kiffer le son. On n'a pas besoin de choses telles que celles qui se sont déroulées récemment au Gibus. Tu ne va pas en soirée pour te battre, si tu veux te battre inscris-toi dans un club de boxe ! C'est ce phénomène que j'ai voulu pointer du doigt dans ce titre.
Elle est belle parle de l'Afrique. Quelle relation entretiens-tu avec ce continent ? Entre l'Afrique et moi, c'est une grande histoire. J'ai grandi en banlieue autour de pleins de nationalités: français, antillais, africains, maghrébins… J'ai toujours eu beaucoup d'amis Africains. Mon premier meilleur ami, c'est Leevayah B et il est africain. J'ai d'ailleurs un grand lien avec sa famille. L'Afrique m'a toujours beaucoup attiré. Je sais d'où je viens, je suis antillais mais je me sens avant tout africain, car je connais mon histoire. J'ai d'ailleurs effectué une recherche généalogique qui m'a permis de connaître le pays d'origine de mes arrières grand parents : la Côte d'Ivoire. Mon grand père a grandi en Côte d'Ivoire et j'ai des tantes africaines. Je n'y suis jamais allé, mais je compte le faire.
En revanche, j'ai découvert l'Afrique à l'occasion d'un voyage que j'ai fait avec Daddy Mory. Même si le voyage n'a duré que quatre jours, j'ai essayé de bouger au maximum. Avec Rudy, on est allés au marché afin de rencontrer des gens pendant que les autres restaient à l'hôtel. Et je compte bientôt y retourner. Pour revenir à Elle est belle, j'avais le riddim avec moi lors du voyage et au retour, dans l'avion, je l'ai écouté avec mon lecteur MP3 et j'ai écrit les lyrics.
Parle nous du titre Faut pas déconner À la base, j'ai rigolé quand Mory écrivait alors que lui était vraiment impliqué. Je suis vraiment d'accord avec ses propos puisqu'il décrit des situations que je vois chaque jour en bas de chez mois. Par exemple lorsqu'il dit ‘‘ta fille elle a quatorze ans et ta feumeu elle a seize ans, faut pas déconner’‘. Ca parle de sujets graves, c'est pour ça que j'ai mis le morceau dans le street cd.
Quel est ton coup de cœur ? Rest in peace, un morceau dans lequel je dédicace des quartiers du bled qui se font la guerre, et U.N.I.T.Y avec Siaka sont mes deux coups de cœur sur ‘‘Madness’‘. Quand j'ai écouté le riddim, j'ai immédiatement pensé à Siaka pour chanter dessus.
‘‘Madness’‘ est ton premier projet solo. Il a été très attendu. A quoi as-tu consacré ce temps de réalisation ? ‘‘Madness’‘ comprend 30 titres inédits. Cela a demandé beaucoup de travail au niveau de l'écriture. A côté de ça, il y a aussi un gros travail de promotion et de distribution, que Tarko a effectué. Sans Demolisha, j'aurais peut-être pu réaliser le street cd, mais j'aurais été incapable d'organiser la distribution. Il faut savoir que pas mal de disques ont été placés en province et que la diffusion se fera en France, en Belgique, en Suisse et jusqu'à La Réunion.
Y a-t-il un album en préparation ? Je n'ai pas encore commencé, il y a deux ou trois titres inédits que j'ai posés sur des compils. Il y en aura peut-être un ou deux que j'inclurai dans l'album, mais à l'heure actuelle je ne me suis pas encore investi sur ce projet. Je compte réaliser pas mal de titres de l'album avec Demolisha mais ces derniers sont pas mal occupés, alors j'en profite pour m'occuper de la promo du street cd. Ensuite, dès le retour de Neasso, on va attaquer l'album tranquillement. On va s'y mettre avec Helias car Demolisha fait des bad riddims. Je leur fais entièrement confiance au niveau de la production. On devrait lancer le chantier pendant l'été. De mon côté, je vais participer à plusieurs compilations, notamment pour poser sur du roots. J'ai d'ores et déjà posé ma voix sur six projets roots, c'est un domaine que j'apprécie énormément et je vais de plus en plus apparaître sur ce type de riddims.
Considères-tu le téléchargement comme positif ? Internet est un très bon outil de promotion. Concernant le téléchargement, je pense que quitte à le faire, autant s'y mettre à fond. Parce que si le titre ou l'album est disponible en téléchargement et que malgré cela le son ne tourne pas, je ne vois pas l'utilité. Je dois avouer que je ne suis pas un expert en Internet, je dispose d'un accès à la maison mais je ne m'en sers que très peu faute de temps. En revanche, le peu de temps que j'y consacre me permet de bien communiquer avec la Jamaïque et le bled. Internet permet vraiment de créer des connections.
Comment vois-tu ton avenir ? Dans le son ! Demain, après demain, après après demain, je continuerai toujours à chanter. J'envisage également de m'élargir, d'acheter une MPC et de monter un studio afin de produire des riddims. Je connais plein de petits qui toastent vers chez moi, je serai ravi de les faire poser sur mes riddims. Comme ça, la boucle serait bouclée !
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