INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sonia El Amri
Photos : DR - Philippe Gass
le lundi 02 octobre 2006 - 10 986 vues
Originaire de Madina Oula en Guinée Conakry, Seyni nous livre la recette de son Yankadi Reggae. Il ne mâche d'ailleurs pas ses mots et ne fait pas dans la demi-mesure quand il s’agit de critiquer le ‘‘ maître ’‘ ou les politiques africains. Rencontre avec un griot des temps modernes.
Reggaefrance / Ta musique est reggae mais elle a ses particularités qui lui sont propres, comment tu la qualifies ? / Je l’ai appelée Yankadi Reggae. En plus de l’influence jamaïcaine et africaine, il y a les Koyate qui agissent sur ma musique en tant que griots et mandingues.
Le griot a un rôle de première importance en Afrique. Le griot, c’est le conseiller du peuple. Jadis, il était le conseiller du Roi. A l’époque où le griot conseillait le roi, déjà il avait une influence sur le peuple. Car ce que griot disait, roi exécutait. De nos jours, ils ont le même rôle sauf que le temps des rois est révolu, on a des présidents à la place. Aujourd’hui on a une population qui souffre, et des présidents élus par cette même population. En ce qui me concerne, en tant que griot moderne, je suis là pour dire ‘‘ arrêtons et ouvrons les yeux, ça souffre ici, ça tue là-bas ‘‘. On est conseiller du peuple mais on est surtout là pour avertir et dire que ça ne va pas au sein des gouvernements actuels.
Dans un de tes titres, tu dis que les griots sont les messagers de la bonne parole. La bonne parole dont tu parles est donc politique ? Non, elle n'est pas uniquement. Quand on parle de misère aujourd’hui, on fait toujours référence à la politique. Il y a un problème aujourd’hui avec les grands patrons car les politiciens sont à leur écoute et vice versa. Donc forcément la misère est liée à la politique.
Hormis son rôle artistique, le reggae en Afrique est-il un moyen de pression sur les politiques, comme le revendiquent Alpha Blondy ou Tiken Jah Fakoly ? Il y a une revendication politique. Quand un chanteur, à travers ses paroles, évoque des faits véridiques, ça touche forcément les politiciens. Si un politicien guinéen, ivoirien ou sénégalais écoute mes paroles, de suite il se sentira concerné. La musique reggae est accompagnée de paroles emblématiques, hypnotiques et spirituelles. Donc celui qui veut la paix doit véhiculer, à travers ses paroles, le message nécessaire à cette paix. En ce qui concerne les hommes politiques en Afrique, ils ont toujours fait leurs études chez le ‘‘ maître ’‘ blanc et ensuite ils débarquent en Afrique pour se faire élire. Et nous, on a compris ça. Ce n’est pas comme ça qu’on gouverne l’Afrique. Elle doit être gouvernée de manière africaine sans prendre exemple ou écouter le ‘‘ maître ’‘.
Qu'entends-tu par ‘‘ maître ’‘ ? Je parle de celui qui nous a oppressé à travers l’esclavage physique et de celui qui continue de nous oppresser à travers l’esclavage moderne sous forme d’impérialisme… Les paroles d’Alpha, de Lucky Dube, de Tiken ou les miennes ont un impact très fort sur la politique et qui vont jusqu’à changer les choses automatiquement des fois. Ce que je dis et redis, j’insiste et je persiste, c’est qu’il faut que les politiciens africains cessent de copier la politique occidentale. On avait déjà notre propre Constitution avant qu’on nous impose les Constitutions actuelles. A l’époque, on était unis et pas divisés. L’homme colon appelait notre espace l’empire. Il y avait l’empire du Ghana, ou l’empire mandingue, dont je suis issu…
La Guinée Conakry connaît une grave crise sociale : nombreuses grèves, flambée des prix de l’essence, des denrées alimentaires… Le gouvernement doit ouvrir les yeux et penser à la population. Il doit descendre dans les rues, dans les quartiers, pour qu’il se rende compte combien sa population souffre.
Cette hausse des prix a été demandée par le FMI (Fond Monétaire International), la marge de manœuvre des politiciens est finalement réduite… Justement, encore une fois, le ‘‘ grand maître ’‘ est copié. Nos dirigeants auraient très bien pu trouver une solution et ensuite exposer leur projet afin de faire une comparaison avec les conseils du FMI. Mais nos dirigeants ne font jamais ça.
La pression internationale ne leur donne peut être pas cette liberté… Mais Liberté n’a pas de prix ! Donc cet homme blanc qui monopolise tout, qu’il comprenne que cette Afrique a besoin de sa liberté.
Hormis le fait que ce soit un instrument de l’Afrique de l’Ouest, qu’est-ce qui explique l’omniprésence du balafon dans ta musique ? J’ai introduit cet instrument dans ma musique car selon moi il est très hypnotique. Je suis très lié au balafon : un grand Roi du nom de Soumangourou Kante de l’empire mandingue a remis un balafon royal à mon ancêtre, Bala Fa Segue Kouyate. J’ai ajouté cet instrument au skank jamaïcain et grâce à ça, je retourne en arrière, au temps de l’esclavage. On a emmené nos grands-parents en Amérique, en Europe… une partie de leur descendance s’est retrouvée en Jamaïque. Donc en tant que descendant de Bala Fa Segue, détenteur du grand balafon mandingue, je recrée le lien entre l’Afrique et sa diaspora à travers l’utilisation du balafon sur le skank de la Jamaïque. On écoute Bob Marley, il est traduit dans mon dialecte, il est traduit en français… Donc c’est pareil pour ma musique, elle ne doit pas avoir de frontière. Et le mélange que je fais s’appelle le Yankadi Reggae.
Quelle est la signification de Yankadi ? C’est un mot qui a deux significations. La première est : ‘‘ ici c’est bon ’‘. Pour la deuxième explication, yankadi est un rythme de basse Guinée. Quand on écoute le battement du cœur de nyabinghi des frères jamaïcains ou le battement du skank avec le one drop, on retrouve mon yankadi, rythme guinéen.
Tu as fais de nombreuses premières parties de grands frères jamaïcains, comment ont-ils perçu ton reggae yankadi avec l’utilisation du balafon ? Quand j’ai fait la première partie du bassiste de Bob Marley, Familyman Barett, sa première parole a été ‘‘ Big, big, big reggae Africa ’‘. A l’époque c’est moi qui jouais du balafon sur scène, je n’avais pas encore mon jeune frère avec moi. La fois où j’ai fait la première partie d’Anthony B., il a vraiment aimé le mélange que j’ai réussi à faire avec le balafon qui parle africain, la basse-batterie qui parle jamaïcain et ma voix qui apporte le message des griots. Même si je chante en français, j’ai toujours conservé mon côté griot. C’est la force de mon reggae.
Tu a fais beaucoup de dates en France, Allemagne, Italie, Maroc ou Sénégal, mais pas en Guinée ? Politiquement, ma Guinée Conakry est renfermée sur elle-même. Mais on force les choses. J’ai fait un concert à Conakry en 1999 avec le premier groupe Rootsaba, malheureusement je n’ai joué que 5 morceaux à cause des pluies. Mais mine de rien, ma musique passe sur la radio guinéenne, donc mon message passe quand même. Pour l’instant, le moment n’est pas encore arrivé. Chaque chose en son temps. En février dernier, j’ai obtenu deux dates pour la Guinée Conakry mais la date est encore mal tombée car c’était la saison des pluies. Si ma Guinée tombe sur l’interview, je lui dis mieux vaut tard que jamais. Le moment viendra où Seyni jouera en Guinée comme je le fais en Suisse, en Italie, en Grande Bretagne… D’ailleurs il y a des opportunités.
Ce n’est donc pas à cause de ton message qui pourrait gêner, mais juste une question d’organisation… Quoiqu’il arrive mon message dérange mais comme je dis la liberté n’a pas de prix. Donc cette liberté d’expression en tant qu’artiste engagé je tiens à la diffuser chez moi. Je m’exprime bien ailleurs alors pourquoi pas devant les miens, ceux qui m’ont vu naître.
Tu n’as pas peur d’éventuelles représailles? Même si je chante l’amour, je peux être victime de représailles. En tant que chanteur engagé, même en France je peux être victime de censure.
Critiquer les politiques est plus dangereux que de chanter l’amour. L’exemple de Tiken Jah Fakoly, qui est obligé de s’exiler, en est la démonstration. Mon frère Tiken à sa manière de formuler ses idées. Pareil pour Alpha Blondy, il a sa manière qui est différente. J’évoque les mêmes idées et les mêmes vérités que Tiken ou Alpha. Mais le style est différent.
Tu veux dire que tu utilises la voie diplomatique? En tant que griot, j’utilise la voie des griots. Alpha et Tiken ne sont pas griots selon la tradition africaine d’un mandingue. Dans la tradition africaine d’un mandingue, un Koné (nom de famille d’Alpha Blondy) n’est pas un griot et les Doumbia Fakoly sont des forgerons, des chasseurs. Cependant, au sein de leur ethnie en tant que forgerons ou Koné, tu peux trouver des griots. En ce qui me concerne, je suis griot Kouyate. Mon nom signifie en Afrique ‘‘ personne ne fera mieux que toi ’‘ ou ‘‘ il y a un secret entre toi et moi ’‘. J’ai ma manière de dire ma vérité. Je la transmets avec ma sauce. Chacun a sa sauce.
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