INTERVIEW : MIKE D'INCA
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : DR
le lundi 04 février 2008 - 10 320 vues
Depuis le dernier album de Sinsemilia, Mike D'inca n'est pas souvent repassé derrière le micro. Une fois seulement, le temps d'un featuring avec Third World. Il a surtout beaucoup écrit et produit d'autres artistes, dont Maxxo et Riké, son acolyte de Sinsemilia. Sur son label Echo Prod, il vient de sortir "Reggae d'ici : la relève" qui expose trente formations francophones privées de la lumière des médias. L'occasion d'évoquer avec lui la scène française et le parcours de Sinsemilia, qui sera en tournée cet été, en prélude à un nouvel album.
Reggaefrance / Comment est né le projet de présenter la "relève" du reggae français ? Mike d'Inca / L'un des premiers projets d'Echo Prod était une compile, "Pas vu à la télé", qui regroupe 70 groupes de la scène française de tous styles, qui sont des groupes qui tournent mais qu'on ne voit pas. C'était une première démarche à la suite de laquelle j'ai eu envie de faire une compile dans mes goûts musicaux. Faire une compile de tubes, ça ne m'intéresse pas, c'est pas le style de la maison. Ce qui était intéressant c'était de faire une compile sur la nouvelle scène reggae française, celle qui ne bénéficie pas du support des médias, comme on a pu avoir dans la génération précédente. Il y a donc la notion de plaisir de faire une compile, et l'opportunité de faire découvrir aux gens des jeunes groupes de reggae.
Parmi ces artistes, qui vois-tu s'inscrire dans la durée ? Celui qui m'a donné ma plus grosse claque, c'est Maxxo. Depuis, d'ailleurs, on travaille ensemble, ce qui n'était pas le cas au moment où il a postulé pour la compile. J'ai pris artistiquement une énorme claque en écoutant son disque. Pour moi, c'est réellement l'un des tous meilleurs albums reggae fait en France sur les dix dernières années, et il l'a fait tout seul, sans soutien. Maxxo a tout pour s'inscrire dans la durée, ce que je souhaite à tous ces groupes. Mais, d'expérience, c'est très difficile de vivre de la musique en France, et encore plus quand tu fais du reggae.
Quel regard jettes-tu sur la scène actuelle ? (Hésitant) Si on considère toutes les familles, le dub, le ragga, le reggae, il est difficile de dresser un constat global. Elle est déjà diverse et variée. Il y a beaucoup plus de groupes, de projets qu'il y a quelques années. Et très vite ils prennent la route et sortent de leur ville, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. Avant les groupes de reggae parisiens jouaient à Paris, point barre. Nous, avec Sinsé, on est sorti très vite de Grenoble pour aller jouer partout, et je sais que ça a beaucoup joué dans notre parcours. La nouvelle génération est dans cette démarche-là. Elle me paraît donc en partie plus dynamique.
En matière de roots ou de dancehall, beaucoup d'artistes français ont les yeux braqués sur la Jamaïque. Je suis d'accord avec ça. Ca manque un peu d'identité propre. Soit je retrouve l'école jamaïcaine (et c'est ce que j'aime, mais pas ce que je fais, parce que les Jamaïcains le font de toutes façons mieux que nous), soit je retrouve en schématisant des enfants de Sinsemilia. C'est dommage. Chaque groupe doit pouvoir affirmer une identité plus forte. En l'occurrence pour les artistes qui sortent du lot dans cette compile, Maxxo a une identité propre, tout comme Mo'Kalamity. De la même façon, je pense qu'il y a peut-être un manque d'exigence des groupes envers eux-mêmes parfois.
Chanter en français expose plus les textes : la frontière est fine entre militantisme et naïveté. La jonction entre ce qui est cliché et ce qui ne l'est pas est très difficile. Chez Sinsé, on n'est pas parfaits, loin de là. Parfois, avec le recul, je me dis qu'on a frôlé la démagogie. Ce qui est sûr, c'est que tout le parcours a été fait de façon sincère. Avec le temps ton regard change sur les choses, mais tant que tu y crois au moment où tu le chantes… La sincérité me permet d'accepter beaucoup de choses. Avec Sinsemilia il y a des domaines sur lesquels on ne s'exprime pas. Je me souviens d'une fille qui a tapé un scandale parce qu'elle avait vu Riké, alors qu'on était en tournée, s'arrêter au McDo. Elle hurlait que c'était en contradiction avec ce qu'on chantait. Et Riké de lui répondre que pas une ligne n'a été écrite sur ce genre de sujet. Parce qu'on sait qui on est, on est loin d'être parfaits. Même chez les Jamaïcains, tu ne trouves pas toujours la sincérité. Bizarrement en France, les gens sont plus royalistes que le roi.
En 2007, les deux seuls mensuels reggae ont disparu. Ca pose surtout problème pour les jeunes formations. Ce qui est sûr, c'est que je n'aimerais pas être un jeune groupe qui démarre aujourd'hui. Quand on a fait "Première Récolte", l'objectif était de vendre 1000 albums en un an. On le referait pareil aujourd'hui parce que c'est notre passion, mais je sais qu'on n'en vivrait pas. C'est devenu beaucoup trop dur. L'avenir n'est pas rose, et c'est vrai pour tous les gens qui font de la musique aujourd'hui.
Vous travaillez sur un nouvel album de Sinsemilia ? Il est prévu pour octobre / novembre prochain. Musicalement, c'est notre album le plus reggae depuis "Première Récolte", il l'est peut-être même encore plus. Et dans le choix des thèmes, on exprime des réalités de jeunes et de moins jeunes qui vivent en France.
Tu le décris comme plus reggae, c'était une volonté commune de revenir aux sources ? D'un album au suivant, vous vous êtes un peu plus détachés du reggae. Musicalement, ça ne sera peut-être pas l'album le plus créatif qu'on ait fait. On a beaucoup aimé, depuis plusieurs albums, se construire une identité de plus en plus forte en terme de son. Avec le temps, on a prouvé qu'on n'était pas là pour copier les Jamaïcains. Du coup aujourd'hui il y a une notion de relâchement, on se fait plaisir. On verra au final si c'est aussi reggae que ça, si les bons vieux réflexes Sinsemilia n'ont pas repris le dessus.
Avec le temps, c'est plus facile le travail en studio ? Le travail en studio est en partie plus facile, parce qu'on est meilleurs musiciens. On a plus de maîtrise, plus d'expérience. Mais l'écriture est beaucoup plus difficile.
Qu'est-ce qui est plus difficile ? J'ai 35 ans et j'ai toujours comme postulat d'être sincère. Du coup, il y a plein de choses que je chantais sincèrement et que je ne peux plus chanter aujourd'hui. Je n'y crois plus au fait qu'on va descendre dans la rue et transformer la France. J'y croyais à 20 ans, je n'y crois plus aujourd'hui donc je ne vais pas le chanter. Si je laisse venir la plume comme elle veut, j'ai plus envie d'écrire sur l'amour que je porte à mes enfants, ce genre de choses. Mais ça trouve difficilement sa place dans un album de Sinsemilia, plus sur un album solo. En plus, on est encore plus exigeant qu'avant, c'est pas évident. Aujourd'hui j'ai une meilleure idée de la complexité des choses. Il ne s'agit pas de gommer le côté contestataire, mais d'éviter les slogans qui ne rendent pas compte de cette complexité.
Plus on vieillit et moins on se révolte ? La révolte chez moi est plus intérieure désormais. Notre joie de vivre n'a fait que grandir depuis des années, je trouve la vie chaque jour plus belle. Mais notre pessimisme exprimé dans la dernière phrase de "Résistances" ("pour dire vrai et pour conclure, j'ai vraiment peur pour notre futur") n'a fait qu'empirer avec le temps. Il y a malheureusement beaucoup de nos textes qui, je trouve, n'ont pas assez vieilli. Quand on chantait La Flamme, on nous trouvait trop pessimistes, trop alarmistes. Aujourd'hui ces idées sont au pouvoir… En quinze ans, je n'ai pas vu la société évoluer dans le bon sens. Ce problème d'être sincère, d'avoir encore envie de dire des choses mais de ne pas vouloir balancer des slogans, je l'avais déjà sur l'album précédent. Le texte qui résume le plus cette pensée-là est Simple d'esprit. Ca exprime pourquoi je crie moins. J'ai vu tellement de mes espoirs, de mes rêves se casser la gueule… A un moment, tu envies juste celui qui ne voit pas à quel point c'est le merdier.
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