INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart & Benoit Collin
Photos : DR
le lundi 23 juin 2008 - 11 015 vues
Cinq ans d'absence et revoilà les Neg'Marrons. Après trois albums chez Sony, marqués par l'écrasant succès du "Bilan" en 2000, Jacky et Ben-J débarquent chez Because Music pour leur quatrième album, "Les liens sacrés". Il était temps de faire le bilan.
Reggaefrance / Vous êtes de retour sur album après cinq ans d'absence, qu'est-ce qui a motivé ce retour ? / Ben-J : Les gens aiment bien ce mot, "retour", mais pour nous c'est plus une continuité de ce que l'on a l'habitude de faire… L'album remonte à fin 2003 mais à côté de ça, on a beaucoup tourné, pendant 1 an et demi en France, en Europe, mais aussi en Afrique et dans le Pacifique. Ca nous a beaucoup occupés. En 2005, on a sorti un album avec le collectif Noyau Dur (avec Pitt Bacardi, Arsenik). Pour ce n'était pas une compilation mais vraiment un album, qu'on a défendu en tant que tel. On a d'autres projets en interne, d'autres artistes dont on s'occupe… J'ai notamment fait un projet qui s'appelle la MC Malcriado, c'est un peu un Bisso Na Bisso à la Capverdienne.
Ben-J : Finalement, on a fait plein de choses ensemble ou séparément. Quand tu poses cette question, j'ai l'impression que c'est comme si le groupe s'était arrêté, mais non ! Depuis 2003 jusqu'à aujourd'hui on continue à faire des scènes. C'est vrai que cet album a mis un peu de temps à arriver… On s'en excuse d'une manière, parce qu'on commence à sentir que le public réclame cet album. Avec Jacky, on s'est décidés à faire de cet album une priorité.
Jacky : C'était assez naturel. C'est vrai que ça fait quatre ans et que le temps passe vite, comme on l'a chanté il y a quelques années. On revient en 2008 avec ce quatrième album. On est content, on a pris le temps de bien le faire, c'est l'essentiel.
Vous aviez une idée derrière la tête en vous mettant sur cet album ? Jacky : On voulait ramener une fraicheur dans tout ce paysage musical, faire ce que les gens attendent des Neg'Marrons, c'est-à-dire de la bonne musique. On voulait retourner en studio en se faisant plaisir, et en espérant que le public se fasse plaisir aussi. C'était notre première démarche. C'est clair que ça fait quelques années qu'on est là, qu'il faut se renouveler, et c'est ce qu'on a fait avec cet album. Il est très frais dans les sonorités, les mélodies, le discours… C'est du Neg'Marrons version 2008.
Ben-J : L'album va dans la continuité de ce qu'on a fait auparavant c'est clair. Du point de vue des invités, il y a Admiral T, un poids lourd du dancehall français, Toma qu'on connaît pour ses mélodies et ses messages, Bost & Bim qu'on ne présente plus, Sly & Robbie qui sont des pointures… On a voulu que cet album soit reggae, mais on a gardé quelques sonorités hip hop et autres parce qu'on a été bercé par plein de musique. Pour le premier album on avait bossé avec le Ruff Cut Band ; le deuxième était réalisé par Tyrone Downie ; "Héritage" a été enregistré à Kingston. "Les liens sacrés" a été enregistré à Paris, mais c'est la Jamaïque qui est venue jusqu'à nous.
Qu'est-ce qui vous pousse ? Ben-J : On voulait donner aux gens ce qu'ils attendent des Neg'Marrons, c'est-à-dire de la bonne musique et des messages. Parce que Neg'Marrons c'est aussi avant tout un groupe à messages. C'est tout ça qui fait qu'on est repartis…
Jacky : Pour continuer à dire des choses. Depuis le début, les Neg'Marrons. Des morceaux tels que Lèves-toi Bats-toi, des morceaux assez positifs dans son ensemble. On est des gens du peuple. Voilà, c'est de la musique pour le peuple faite par les gens du peuple. Tant qu'il y aura des choses à dire, des choses qui nous semblent pas normales, comme sur le morceau C'est pas normal. Autant on est des dénonciateurs, autant on est des ambianceurs, il y a des morceaux festifs, et voilà c'est aussi ça être Neg'Marrons : revendiquer, militer, être révolutionnaire, et apporter une joie de vivre et une positivité, tu vois ?
Vous n'aviez pas de pression ? Quand on a fait ce 4e album, on l'a fait malgré les enjeux, la pression. C'est sûr que quand tu as été vendeur comme nous, les maisons de disques qui ont mis des billes sur la table s'attendent à récupérer leur maille. Quand on était en studio, on s'est dit qu'on faisait l'album avant tout pour nous, on voulait entretenir la passion. On est resté dans le même état d'esprit que le premier album, quand on ne calculait pas le marché, tout ça.
Et Because vous a laissés complètement libres ? Jacky (sourire) : Tu sais un Neg'Marrons c'est ça, il recherche sa liberté.
Ben-J : On était totalement libres artistiquement. On a quitté Sony Music de notre propre volonté après trois albums pour travailler avec Because, parce qu'ils ont un état d'esprit qui va dans le même sens que nous. On a donné la direction qu'on voulait à l'album, mais en travaillant main dans la main avec Because, pour essayer de développer un nouvel univers que eux derrière au marketing puissent comprendre, et qu'on puisse travailler vraiment ensemble tout ce qui était artistique. La maison de disques doit être vue comme un partenaire, et pas comme une banque.
Les liens sacrés, ce sont ceux qui vous unissent ? Jacky : C'est parti de ça. C'était important pour nous de le souligner, de dire qu'on se connaît depuis vingt ans : vingt ans d'amitié, de fraternité, de complicité musicale… Mais les liens sacrés ce sont aussi tous ceux avec le public, qui nous suit depuis des années. Tous ces liens représentent cet album. On a commencé, on avait 18 ans, en même temps que plein de groupes qui depuis se sont divisés ou qui n'existent plus. Pour nous c'était aussi important de souligner que cette amitié qui nous unis est vraiment solide et sincère. Elle est née dans les quartiers à Garches dans le 95, et elle est toujours là aujourd'hui...
Vous vous êtes divisés aussi, vous aviez démarrés en trio avec Djamatik… Un retour est envisageable ? Ben-J : Pour nous c'est une page qui est tournée. A l'époque, ça aurait pu fragiliser le groupe, voire y mettre fin. Mais les liens sont tellement forts qu'on a poursuivi. On a perdu un maillon mais la chaîne est encore là.
Jacky : Mais ce n'est pas envisageable, et ça ne sera pas envisageable. Même s'il ne faut jamais dire jamais.
A l'époque, faire partie du secteur Ä vous a permis d'exposer le style deejay à un autre public… Jacky : En France, on a un problème de culture. Quand tu fais le deejay, les gens pensent que tu rappes. Et même avec Le Bilan, dont le riddim est un gros standard jamaïcain (ndlr : le Truth & Rights de Johnny Osbourne), certains pensaient que c'était du rap ! Ca venait peut-être de notre côté urbain… Depuis le départ notre musique a été essentiellement reggae. On n'a pas les stéréotypes qu'il peut y avoir généralement autour des artistes reggae. Ca prête peut-être à confusion auprès du public.
Est-ce que ce n'est pas parce que vous avez été marketés comme un groupe hip hop que vous avez aussi bien marchés ? Jacky : Ca n'a pas été marketé, c'est surtout que pour les gens, le reggae se limite à Bob Marley. Si tu n'as pas de locks et que tu ne dis pas "Selassie" ou "Babylone" dans toutes tes phrases, tu ne joues pas de reggae. Nous, on n'a jamais voulu pomper le style jamaïcain. A l'époque, tout le monde reprenait les mélodies et le flow des Jamaïcains, mais nous on a toujours cherché à se démarquer, à créer notre style. A partir de là, quand tu ne rentres pas dans une case, t'es toujours un petit peu marginal. Mais ça nous va très bien.
Le plus gros hit, "Le Bilan", était sur le Truth & Rights, il y aura d'autres reprises de ce genre sur "Les liens sacrés" ? Ben-J : Non, on n'a pas fait de reprise de riddims. C'est essentiellement de la composition, par Bost & Bim, Mouloud, Jacky et moi avons aussi créé quelques trucs. Scoreblaze a fait un travail essentiellement dancehall. Tous ont amené une fraîcheur. Tout en s'adaptant à la couleur Neg'Marrons, parce qu'on a une identité musicale.
Comment la définirais-tu ? Ben-J (Il hésite) : Il y a l'énergie, plus de chant maintenant avec les années, car le style s'affûte et devient plus précis. Mais il faut écouter pour se faire une idée.
Jacky : le nouveau style Neg'Marrons il est… je ne sais pas… évolutif, on va dire. Il y a une évolution par rapport à ce qu'on faisait avant. Ben-J parlais du chant, t'as vu, c'est vrai qu'on a gagné quelques gammes. C'est un style qui est dans l'air du temps, en tout cas.
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