INTERVIEW :
Propos recueillis par : Julien Saint-Jours
Photos : Mathieu Large / DR
le mardi 29 décembre 2009 - 30 130 vues
Neuf ans après ses débuts, Danakil remplissait l'Olympia en octobre dernier à Paris. Entretemps, il y a eu trois albums (dont un live), et les nombreuses tournées. Un bon bout de chemin parcouru en une petite décennie, sur laquelle reviennent avec nous Balik (chanteur) et Das (saxo).
Reggaefrance / Vous jouez ensemble depuis neuf ans. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru,? / Balik : On a vraiment vécu ça au jour le jour. C’est sûr que quand tu te retournes neuf ans après, tu analyses les choses différemment de la manière dont tu les as vécues sur le moment. Nous on voit encore ça comme une aventure entre potes. On était ensemble au lycée, on a commencé vraiment pour la musique, pour s’éclater en répétitions et on a toujours vu ça comme ça.
Les sept ou huit tournées qu’on a fait en France, on les concevait dans le même sens, comme le meilleur moyen de passer l’été entre potes en faisant de la musique sur la plage, sans forcément imaginer au début que tout ça, mis bout à bout, puisse nous amener sur un projet de musique en groupe professionnel. On eu la chance de voir nos rêves aboutir, alors qu’on n’osait même pas se dire qu’on pouvait faire de la musique notre vie. L’étape importante, ça a été l’album dans les bacs.
Das : De tournée en tournée le buzz a grandi tout simplement et ça a un peu commencé à se concrétiser pour nous quand on a pu sortir nos albums. On a eu du mal à exister pendant sept ans pour sortir le premier album. Après, tout s’est enchaîné très vite, le deuxième album, les différents partenariats qu’on a eu la chance d’avoir... Avec notre tourneur notamment, qui nous a permis d’atteindre des salles auxquelles on n’avait pas accès auparavant. Et puis il ya eu le festival, puis le live qui est sorti... De fil en aiguille, le buzz s’est fait, et aujourd’hui on a de la chance de pouvoir remplir les salles partout en France.
Vos textes abordent des thèmes aussi variés que la société française, l’exclusion, la France-Afrique, les inégalités Nord-Sud, les choix de vie… Avec un collectif de 8 personnes, comment s’organise l’écriture ? Balik : On se connaît vraiment bien, les valeurs qu’on partage sont les mêmes, on part en vacances ensemble... Pour la musique, on s’enferme des semaines entières en Province, on a le temps d’échanger et de discuter les thèmes qui nous rassemblent et nous touchent. On discute ensemble de la musique, ensuite c’est moi qui écrit les chansons. De même que chacun va écrire ses propres parties musicales en répétitions, l’idée c’est que j’arrive avec un texte sur lequel travailler, et on se retrouve pour mettre tout en commun. Parfois, le texte change et ne passe pas sur la musique qui était prévue mais sur une autre qui finalement s’y prête mieux. On échange aussi sur le contenu du texte.
Das : On a rencontré tous les cas de figures, on essaie tout. Des fois c’est la musique qui a été modifiée, des fois c’est le texte qui a changé, on essaie vraiment d’obtenir le résultat optimum pour nous.
Quelles sont vos influences musicales ? Das : Enormément de trios vocaux, les Mighty Diamonds, Israel Vibration, les gros toasters, Third World, très foundation…
Balik : Don Carlos a toujours été un de mes chanteurs préférés. Steel Pulse aussi compte beaucoup pour nous tous, c’est une vibe qui nous correspond. Après, dans la new school j’adore écouter Junior Kelly ou Jah Mason. J’écoute aussi beaucoup de hip hop… peut-être même plus ! J’ai cette influence-là, ce goût, quand j’écoute de la musique j’ai besoin de textes en français, et c’est dans ces moments là que je vais me réfugier dans le hip hop, parce que j’ai besoin de la musique en français mais je n’ai jamais trouvé vraiment satisfaction en reggae français. J’ai beaucoup aimé Brahim mais il n’y en a pas 50 000 autres, donc c’est vrai que lorsque j’écoute de la musique pour mon plaisir j’écoute du reggae jamaïcain, ou anglophone en tout cas.
 Nous, on voit encore ça comme une aventure entre potes.  Que pensez-vous du paysage musical jamaïcain actuel ? Das : C’est marrant que tu en parles parce que j’ai lâché un post hier sur le forum de Reggaefrance pour parler de ça. Pour ma part, il y a deux trucs bien différents qui se font à l’heure actuelle en Jamaïque : les artistes new roots et les artistes dancehall. Dans le new roots il y a plein de choses super bien qui se font, mais le petit côté vocoder personnellement me gonfle à mort. Après il y a le côté Vybz Kartel et compagnie, on adhère beaucoup moins… En fait on n'écoute même pas du tout ! C’est vraiment pas notre truc, que ce soit au niveau des thématiques qu’ils abordent, la vision des femmes... D’une manière général tout ça est très loin de l’esprit du groupe.
Balik : Toute façon, le dancehall, en termes de rythmiques, ça ne nous a jamais fait rêver.
Das : Mais c’est vrai qu’il y a pas mal de nouveaux artistes new roots qui font l’unanimité, les gros tubes sortis dernièrement sur les séries new roots, pour nous c’est parfait… Les derniers sons de Perfect par exemple c’est du lourd. On a eu la chance de faire une tournée avec les Rootz Underground il y a deux mois. Ils sont Jamaïcains, font du roots, ça ne s’était pas vu depuis longtemps et bien voilà c’est une nouvelle génération et ce qu’ils font c’est terrible.
Même si vous avez déjà un peu répondu en disant que ça n’est pas trop votre came, que pensez-vous de la scène reggae française ? Das : Il y a quand même de bons trucs qui ne sont pas remarqués, dont personne ne parle, comme nous il n’y a pas si longtemps que ça. On croise quand même pas mal de groupes qui méritent d’être découverts, qui chantent en français, qui ont des rythmiques qui tiennent complètement la route.
Qui par exemple ? Balik : On a nos potes, tous ceux qu’on croise sur la route. On voit souvent les Broussaï, Papa Style et Baldas, deux mecs musicos orchestre qui sont assez incroyables et qui ont un talent fou !
Das : Y a Mo’ Calamity qui envoie du lourd, Brahim qui a sorti son nouvel album récemment, c’est toujours opé, il est backé par des potes aussi, il y a du bon !
En France, le reggae semble enfermé dans un carcan tissé de vert-jaune-rouge et de « rasta c’est cool, rasta c’est bien ». Das : Pour les médias généralistes c’est sûr que ça pose un gros souci, il y a d’énormes clichés qui sont véhiculés comme gros fumeurs ou fumistes, mais nous on ne se dit pas rastas !
Balik : Je pense sincèrement qu’il faut être honnête avec les gens, il ne faut pas essayer de jouer un personnage… Si tu es né blanc à Paris dans le XVè, que tu te sens « rasta » et que ça te fait du bien (et j’en connais des dizaines !), si c’est un choix qui t’apporte quelque chose de positif, alors tant mieux ! Ca peut transpirer dans le son de certains, mais personnellement je ne vais pas leur jeter la pierre du moment que les mecs sont sincères. Nous on ne vit pas le truc comme ça. On me pose souvent la question en interview, mais moi je ne parle qu’une fois de Dieu dans mes textes, en me demandant ce qu’il pense de ce qu’on fait, si toutefois il existe. Le principal est d’être soi-même et de ne pas se travestir. Si tu as des convictions, exprime les quelles qu’elles soient, mais il ne faut pas le faire juste pour coller à un mouvement, être dans l’air du temps ou pour essayer de te donner un style que tu ne pourras pas défendre puisque ça ne sera pas toi.
L’image que ça donne du reggae c’est un autre problème… Il ne faut pas se voiler la face, il y a énormément de Jamaïcains qu’on voit et qui sont des rastas à proprement parler, qui le revendiquent à mort et pour avoir passé des concerts avec eux et les avoir vu faire, c’est des mecs comme les autres, ils boivent de l’alcool, ils mangent ci ou ça et finalement pour eux aussi c’est institutionnel ce côté « vert-jaune-rouge », « Jah love » ! Ca peut être des mecs adorables, géniaux, sincères, mais dans leur culture et dans la musique telle qu’ils l’ont toujours faite ils sont hyper prédicateurs mais en réalité c’est plus rapport à la musique, à leur nom, à ce qu’ils font et veulent faire que par rapport à des convictions personnelles. Donc parfois ça dépasse leur vrai comportement mais on ne le dit jamais. Je ne dis pas ça péjorativement, c’est juste qu’il y a une espèce de langue de bois dans le reggae. Je ne fais pas de généralités, certains respectent les règles à la lettre d’autres pas, mais au final tous crient le même message et c’est l’essentiel.
Das : C’est vrai que les gars en jouent, ça fait partie de leur image, c’est un truc qu’ils entretiennent. Les média restent énormément dessus ! Un jamaïcain à Paris en interview, si le journaliste n’est pas spécialisé reggae, il lancera presque toujours une allusion sur l’herbe ou sa coupe de cheveux, etc. C’est vrai que ça fait partie des clichés qui circulent dans le reggae mais il en va de même pour le rap ou le heavy metal, chaque style a ses clichés dans les média grand public.

Votre popularité est indiscutable, vous représentez à l’heure actuelle une des entrées les plus accessibles au grand public vers le reggae, que répondez-vous à ceux qui vous considèrent comme un groupe disons « access-reggae » ? Balik : Ceux qui disent ça sont les mêmes qui, avant qu’on accède à notre public et à l'Olympia, nous boudaient parce qu’on chantait en français. C’est la première fois qu’on me dit que ce qu’on fait est grand public et c’est la première fois aussi qu’on me suggère qu’être grand public pourrait nuire au reggae. Je ne nous ai jamais considérés comme un groupe grand public, le succès est venu petit à petit et on n’a pas vraiment vu la différence arriver parce que les gens venaient à dix de plus puis dix de plus et ainsi de suite…
On est en autoproduction et on a jamais eu personne derrière nous, en terme de communication notamment... Par exemple on n’avait jamais été chroniqués sur votre site alors que ça s’appelle Reggaefrance ! (rires) On a tout fait par nous-mêmes, près de dix ans à distribuer des flyers sur les plages, on a fait ce qu’il fallait alors à ceux qui nous le reprochent j’ai envie de dire que notre public est venu à nous, on ne s’est pas imposés à eux par le biais des média. Ce sont des gens qui ont entendu parler de nous par un pote, un cousin ou un collègue. En dix ans ça fait du monde !
Le truc est vraiment monté comme ça, notre public est fait de gens proches de nous et on le ressent à chaque fois en concert alors on leur parle dans cet esprit-là, comme si on se connaissait un peu. Ils nous suivent et reviennent, les six premiers rangs sont d’ailleurs presque toujours les mêmes quand on fait plusieurs dates dans une région. Le fait d’avoir un groupe reggae grand public devrait être perçu plutôt positivement puisque ça amène les gens vers les autres artistes aussi. Après que des gens n’aiment pas, moi je respecte tous les avis, mais si tu n’aimes pas tu n’écoutes pas et puis c’est tout. On n’a pas besoin d’être aimés de tout le monde, c’est pas du tout le cas, on fait notre musique, nos textes, on a notre vision et on la propose, les gens adhèrent ou pas.
Das : Ca nous arrive, on rencontre des mecs qui viennent nous voir avec scepticisme quand on fait des plateaux avec des Jamaïcains, des « puristes ». A la fin ils viennent nous dire « Danakil j’pouvais pas piffrer, c’est pas ce que j’écouterais tous les jours dans ma stéréo mais j’ai kiffé le concert alors que je ne pensais pas ». On le comprend, on est comme eux, on écoute la même chose, ce n’est pas comme si on passait notre journée à écouter du reggae français ! On sait exactement ce qu’ils nous reprochent, après chacun fait son chemin et pas de soucis.
Le prochain album est sur les rails ? Balik : On a commencé à travailler un peu sur le prochain album mais on a encore le temps, il est prévu pour le printemps 2011. On a prévu d’enregistrer une partie en Jamaïque, selon les disponibilités des gens quand on va y être début 2010. Pendant la dernière tournée on a rencontré beaucoup de gens avec qui on a envie de faire de la musique, on verra ce qui se présente sur le moment, mais il y aura de bonnes surprises !
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