Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : DR
le mercredi 19 octobre 2011 - 8 598 vues
Diana Rutherford est tombée dans la musique quand elle était petite. Repérée à l'âge de 12 ans par Philip Fattis Burrell, le prolifique producteur du label Xterminator, c'est avec son compagnon Sherkhan, producteur français installé à Kingston qu'elle signe son premier album : "Ghetto Princess", sur le label Tiger Records. Sorti cet été, il est désormais disponible au format digital sur Tiger Records. L'occasion de revenir sur le parcours de la sculpturale Diana.
Reggaefrance / Ton père, Michael Rutherford, est chanteur. Tu as donc grandi dans la musique… / Oui, ça m'a toujours paru évident que je ferais de la musique. J'aime la musique, et je chantais tout le temps. Je savais que j'avais des qualités, mais à l'époque, je ne prenais pas du tout ça comme un métier. Et maintenant, c'est le mien. Ma mère est amoureuse de la musique, même si elle ne le fait pas professionnellement. C'est elle qui m'a motivée à faire toutes les compétitions, les concours de talent. Mon père, lui, est chanteur, il a joué dans un big band, le groupe de jazz The Sonny Bradshaw Seven, avec Dean Fraser. Il a aussi fait des tournées avec Gregory Isaacs…
Tu es repérée par Fattis Burrell à l'âge de 12 ans. Chaque année, Sizzla organisait un grand concert à August Town, avec tout le crew Xterminator. Un soir, j'étais couchée et mon père m'a dit qu'il y avait un concert, et que je devais aller chanter. J'y suis allé, et j'ai chanté On & On de Erykah Badu. Le lendemain, Fattis était chez moi pour discuter avec mes parents. Il voulait enregistrer des chansons.
Comment tes parents ont-ils réagi ? Ils ont été excités car c'était un des plus gros labels de Jamaïque à ce moment-là. Mon père était chanteur et savait très bien ce que ça voulait dire. Mais ils ont été très clairs : c'était l'école avant tout. J'ai fait une reprise de Missing You de Brandy parce que Fattis aime bien les reprises. Quand je l'ai entendue à la radio la première fois, j'ai tout à coup réalisé que c'était moi qui chantais, et j'ai couru dans la rue pour prévenir ma mère, j'étais tellement contente… Au total j'ai dû enregistrer de quoi faire un album avec Fattis. Je ne sais pas ce qu'il en a fait, à ma connaissance il y a trois morceaux qui sont sortis. Il y a aussi des chansons que mon père a écrites… Mais je n'étais pas au courant de tout le côté business, moi j'étais au lycée !
 Je préfère n'avoir qu'un seul producteur, tu peux monter un vrai projet, plus cohérent.  Et comment menais-tu les deux de front ? Ce n'était pas très facile. Mon père, au sein du Sonny Brasdshaw Seven, travaillait avec une chanteuse. Après les cours, j'allais chez elle apprendre le chant, et je rentrais ensuite chez moi faire les devoirs. Par contre, tous les dimanches j'étais au studio. Après l'église bien sûr ! (rires) J'y chantais aussi, évidemment, tu dois savoir que la Jamaïque est le pays où l'on trouve le plus d'églises.
Tu participes au concours de talents Rising Star, mais tu finis troisième… Je crois que j'ai gagné parce que le jour où je suis allée faire l'audition, il y avait tellement de monde ! J'étais découragée. J'ai appelé ma mère qui m'a poussée à aller au bout, et à passer l'audition. Ils ont fait ça partout en Jamaïque, à Montego Bay, à Ocho Rios… Il y avait tellement de candidats, alors, finir troisième… Ça m'a vraiment plu.
Et ça t'a ouvert les portes d'autres studios, notamment le Geejam Studio à Port Antonio. Oui, j'ai travaillé avec Jon Baker et Alborosie pendant un an. J'ai beaucoup appris. On a fait un tour de la Jamaïque, c'était une reconnaissance nationale pour moi. Maintenant quand je prends le taxi, à Kingston, tout le monde me connaît et m'interpelle. Même si je n'ai fait que troisième, je crois que j'ai gagné quand même.
Les choses deviennent sérieuses quand tu rencontres Sherkhan de Tiger Records. Il était en Jamaïque depuis quelques temps. Il est venu à Port Antonio, c'est comme ça qu'on s'est rencontrés.
Et c'est évidemment Tiger Records qui sort ton premier album. En Jamaïque, tu peux enregistrer avec tous les producteurs, mais après tu vas avoir du mal à récupérer tous les titres pour faire un album. Moi je n'aime pas travailler comme ça. Quand j'étais avec Fattis, je ne travaillais qu'avec lui. Maintenant, je ne travaille qu'avec Sherkhan. Je préfère n'avoir qu'un seul producteur, tu peux monter un vrai projet, plus cohérent.
L'album s'appelle "Ghetto Princess", c'est en référence à ton prénom ? Oui, là-bas, beaucoup de gens m'appellent "Princesse Diana". Je viens du ghetto, donc je trouvais que c'était un bon titre. J'ai demandé des avis autour de moi, et on l'a gardé. Avec Sherkhan, on a fait beaucoup de titres ensemble, depuis le temps on a un véritable catalogue : du reggae, du hip-hop, du rn'b… J'étais jeune, je cherchais mon style. J'ai réalisé qu'en France le public était très reggae, ça marche mieux qu'en Jamaïque. On a décidé de faire un album vraiment reggae. Mais quand je chante, tu peux entendre que j'aime d'autres styles : le rn'b, soul. Tout ça se mélange. Il y a le côté princesse et le côté ghetto avec le reggae et le dancehall.
L'album parle d'amour, mais pas seulement… Oui, l'album a aussi des titres sociaux. Je viens du ghetto, je sais ce que c'est que de grandir là-bas, je connais les stéréotypes qui circulent… On te dit que tu ne peux rien faire de ta vie, que tu ne peux qu'être jardinier ou éboueur. Mais il y a beaucoup de talents dans le ghetto, c'est simplement que ces gens n'ont pas la confiance en eux pour faire ce qu'ils veulent dans la vie. Pas seulement un hobby, mais un métier. Donc l'album parle surtout de développement personnel : ayez confiance en vous, vous êtes ce que vous êtes, soyez fiers de vous.
Le premier titre, Harmonies of cry, est un hip-hop : "I was born and raised in the ghetto, where the only aim is to get out" ("Je suis né et j'ai grandi dans le ghetto, où le seul objectif est d'en sortir"). C'est un bel album avec plein de styles et de sujets différents.
Il y a par exemple Xaymaca. C'est le nom original de la Jamaïque… Oui, cela veut dire "la terre du bois et de l'eau". Je dis "Xamayca is land of wood and water, not land of gunfire". Cette chanson, je l'ai écrite après l'affaire Dudus. C'est la première fois de ma vie que j'ai réalisé vraiment où j'habitais. C'était une catastrophe, selon moi un vrai tournant. Comment peut-on entrer dans une communauté et tuer autant de gens, quand on cherche une seule personne ? Des gens à la radio expliquaient que les victimes l'avaient mérité, que c'étaient des criminels. Mais des auditeurs ont témoigné pour dire que les victimes, blessées ou tuées, étaient essentiellement des civils. C'était ma manière de m'exprimer sur ce sujet. Notre devise nationale : c'est "Out of many, one people" (De plusieurs, un seul peuple). Cette chanson parle de cela. Nous ne sommes que des êtres humains. Au bout du compte, nous sommes un seul peuple, pourquoi nous combattons-nous comme cela ?
A New day est ton premier duo avec Sizzla. Pourtant tu le connais depuis des années. Oui, et j'étais souvent dans le studio quand il enregistrait. On était à Halfway Tree, on marchait, et on croise Sizzla. On habite dans le même quartier mais cela faisait longtemps que je ne l'avais pas vu. Quand je lui ai dit que je travaillais sur mon album, il m'a proposé de faire un morceau. C'est lui qui a écrit la chanson.
Comment découvres-tu la France, où tu résides partiellement ? Oui, je commence à parler la langue… Quand je fais quelque chose, j'y mets tout mon cœur. J'ai commencé à apprendre le Français il y a cinq ans et je m'en voulais de ne pas progresser assez. C'est vraiment une autre culture, j'aime beaucoup la découvrir. J'ai été impressionné par l'amour des gens pour le reggae. J'aime la culture française, l'architecture, les gens… Mais il fait froid en hiver. God ! Comment faites-vous ?
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