Propos recueillis par : Sébastien Jobart
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le lundi 14 novembre 2011 - 8 049 vues
Il y a deux Dar-K : celui de l'école des sound-systems et celui que l'on voit émerger depuis le deuxième album "Crescendo" en 2010, plus chanson et soul. Avec le label Arkaya Music, ils font les choses "petit à petit" : "On n'est pas bien connus, mais on a déjà une discographie, on a construit des fondations."
Vainqueur cette année de l'European Reggae Contest France, il y a gagné l'interview promise au vainqueur en plus d'accéder à la finale européenne à Barcelone. S'il ne gagne pas, on lui décerne le Prix spécial du jury qui l'envoie au Rototom pour la seconde fois. Soutenu par le Cargo (Scène de musiques actuelles de Caen), il sera en concert gratuit à la Boule Noire à Paris le 17 novembre. Entretien.
Reggaefrance / Comment se fait ton apprentissage musical ? Dar-K / J'ai grandi dans la culture urbaine de la musique. Vers 12 ans, j'écris mes premiers textes en écoutant à fond de cale NTM ou Assassin, Wu Tang. Dans l'espèce de MJC, avec les grands et les animateurs de quartier... Comme tous ceux de ma génération, je prends une claque avec le premier album de Raggasonic et je passe des heures et des heures, livret sous les yeux à chanter et essayer d'aller aussi vite que Daddy Mory… J'étais vraiment ragga-hip-hop à l'époque, je posais en fast-style, c'était ma marque de fabrique. Mais j'avais aussi envie de dire des choses, de passer des messages plus profonds. Le fast style c'est pour le show. D'où les deux facettes. Mais depuis le début, je fais du fast-style, du chant, des trucs lovers aussi. Pour moi le reggae est la musique parfaite pour écrire des chansons d'amour. J'essaie de cultiver ces trois domaines, à l'image de ce que j'écoute à différents moments de la journée : du gros Vybz Kartel, Anthony Hamilton ou Gentleman.
Tu connaissais le monde des sounds-systems ? Non, pas du tout. Quand j'ai commencé à m'enregistrer sur un petit logiciel sur mon pc, c'était plus sur des instrus hip-hop. Et d'ailleurs, à 14 piges, je ne connaissais pas le mot "riddim". J'enregistrais comme ça des morceaux que je faisais tourner au lycée. Un jour, un gars me parle d'un magasin spécialisé, celui de Killa Bee de 220 Sound. On s'est rencontré, et il m'a proposé de venir aux soirées qu'ils organisaient, et de prendre le micro. C'est là que j'ai découvert les soirées sound systems, les pull up, j'ai pété un câble. Néko, anciennement selecta du 220, m'a emmené partout à l'époque. J'étais donc affilié au 220, puisque je trainais toujours avec eux. Avec le Original Fyah Crew, on a créé le sound du même nom, dont je suis le chanteur.
Et en 2003, tu sors ta première mixtape, "Maximum". A force de traîner dans les soirées du 220 sound, j'ai pu identifier lesquels de mes morceaux marchaient le mieux. Je les ai enregistrés sur cette mixtape, dans le studio du 220, avec des artistes locaux : j'étais super content d'avoir Khalifa, du Positive Radical Sound, et il y avait aussi les potes du quartier. Avec cet esprit de jeune qui a la dalle et qui fait des riddims… La mixtape s'est bien écoulée, j'étais content. Il y a eu un morceau qui a dépassé les frontières des sound systems, c'est Il te faut ta pedo. On a été surpris par le succès. On a fait un clip avec des bouts de ficelle, et on m'en parle encore. Le morceau a touché aussi bien le milieu hip-hop que celui des teufeurs. J'ai pu m'en rendre compte en prison, où on organise des concerts et où je participe à des ateliers d'écriture avec des détenus.
Après j'ai sorti deux autres projets vraiment locaux, un recueil de dubplates pour mon sound, et une autre sortie un peu crunk, c'était mon délire… Puis j'en ai eu marre de poser sur des riddims, je voulais bosser avec des compositions, et apporter mon truc à moi. Tout ça dans l'idée de pouvoir vivre de cette passion pour la musique… J'ai rencontré un backing band de Caen, Burning Blend. Le courant est bien passé et on a décidé de travailler ensemble sur un album. C'était surtout avec David, le clavier et ingénieur du son du groupe. J'arrivais avec ma guitare, lui avec son clavier, et ça permettait d'ébaucher les morceaux.
 Je n'arrive pas à trouver mes textes crédibles quand ils sont joyeux 
C'est comme ça qu'est né le premier album ? On n'était pas du tout dans l'optique de monter un album, on voulait juste écrire des morceaux pour que je pose mes textes dessus. Petit à petit, les compositions se sont affinées. Parallèlement, on a fait quelques dates, et on a été repérés sur une première partie d'Alborosie par Le Cargo, la scène de musiques actuelles de Caen. C'était une démarche d'accompagnement, et c'est ce qui nous a permis d'être professionnels aujourd'hui.
Tu as développé un côté plus chanson, et plus mélancolique. En fait, j'ai du mal à écrire des trucs joyeux. Je crois que ça vient de là : je n'arrive pas à trouver mes textes crédibles quand ils sont joyeux. A l'exception des chansons d'amour. Alors j'essaie de faire des chansons plus "divertissantes", parce qu'un album uniquement de street c'est un peu chiant, mais je ne me sens pas à l'aise avec ça. En fait, les thèmes dont j'ai envie de parler sont des choses dures... Je suis heureux dans la vie, hein, tout va bien ! Mais c'est vrai que mes textes ne sont pas très joyeux.
Dans Ma Génération, tu chantes "Nous on n'a pas de guerre, pas de révolution". La jeunesse d'aujourd'hui manque de combats ? Non, les combats ne manquent pas. Mais j'ai l'impression qu'on subit plus que nos aînés, qu'on ferme notre gueule. On est une génération bien élevée, on a bien intégré le fait qu'il y a des puissants et qu'on n'a pas le choix, qu'on ferme notre gueule et que chacun trace sa route pour soi. J'ai l'impression qu'avant il y avait plus l'idée de "Ils nous représentent et si on n'est pas d'accord, ils vont nous entendre". Aujourd'hui, on subit, et moi le premier : je ne prends pas mes pancartes pour aller manifester, je reste dans mon coin à ronchonner et écrire des chansons.
Encore une fois, c'est un constat désabusé… Oui, tout à fait, sur une mélodie un peu enfantine, comme si elle sortait d'une boîte à musique. Mais en essayant d'avoir des textes réfléchis et conscients.
Autre texte, Petit bout de métal, et encore un sujet sérieux, le trafic d'armes. Tous les ravages qu'on se fait à nous-mêmes… J'aime bien les métaphores, je trouve ça beaucoup plus beau de dire les choses ainsi. Par exemple, j'ai un texte qui s'appelle Petite fille et qui parle de la pédophilie. Je n'ai pas du tout envie de dire "Pédophiles, faya bun", d'autres l'ont fait avant moi. Même si ce thème me choque, je préfère en parler en racontant une histoire qui va te paraître gentille à la première écoute. Mais si tu te penches un peu, tu te rends compte que c'est hardcore. Petit bout de métal, c'est exactement ça : le fait de dire "petit bout de métal" plutôt que "balle"… et en parler comme si c'était moi le bout de métal…
Sortir une nouvelle mixtape, "Maximum 2", c'est une manière de revenir à tes premières amours ? Exactement, comme ça je peux me permettre de faire des textes plus légers, même si, comme on le disait, j'ai du mal à le faire. Comme ce délire sur le Calvados, qui est ma région. Triper comme Busta Rhymes représente le cognac, ou Booba le Jack Daniels… Moi, je représente le calva ! C'était aussi l'occasion de bosser avec des potes de ma région, histoire de se défouler avant d'attaquer le prochain album, qui sera peut-être plus triste.
Avec Arkaya Music, l'idée c'est de faire tout tout seul ? Aujourd'hui, c'est compliqué pour un artiste reggae de signer en major. On n'est pas là à brandir le drapeau de l'indépendance, on est ouvert à tout partenariat, mais pour l'heure on ne peut pas être plus indépendants que nous : on n'a pas de subvention, rien… C'est la débrouille.
Du coup, vous faites les choses comme vous le sentez… Si je dois aller en major et qu'on m'impose de faire un duo avec tel ou tel artiste qui ne me plaît pas, je crois que je préfèrerais retourner dans mon indépendance, parce que cette liberté je l'ai depuis toujours. Même si on vit modestement, on arrive quand même à vivre de notre musique et c'est déjà magnifique en soi. Ca durera le temps que ça durera, mais pour le moment, on profite : on fait de la musique, on voyage, on fait des rencontres…
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