Après l'Islande, la Lettonie ! Nous poursuivons notre tour du monde du reggae. Apofeoz Orkestra est une joyeuse bande de sept personnes (sans le chien), une fanfare bigarrée à la frontière du reggae, du hip-hop et de toutes les idées qui leur passent par la tête. Le collectif est né de l'Apofeoz Sound System, qui réunissait il y a quinze ans Puma (chanteuse), Zara (chanteur) et un DJ, finalement remplacé par des musiciens venus de divers horizons. Quand Nikita, le troisième chanteur, rejoint la formation, le collectif prend le nom d'Apofeoz Orkestra.
Quand nous les rencontrons, nous sommes le 18 novembre - c'est la fête nationale à Riga. La capitale lettonne célèbre l'anniversaire de la proclamation de l'indépendance. Petit Etat des pays baltes, la Lettonie a passé plus de temps occupée par les Allemands et les Russes qu'en totale indépendance. C'est à la chute de l'URSS, en 1991, que le pays va connaître sa première "vraie" indépendance, il y a seulement 21 ans.
Quelques minutes avant que notre entretien débute, la parade militaire passe devant nous. L'élite de l'armée lettone, les parachutistes, la marche au pas et l'exhibition des armes, nous avons le droit à tout ! L'interview peut commencer.
Reggaefrance / Vous êtes nombreux, comment en êtes-vous venus à former Apofeoz Orchestra ? Apofeoz Orchestra / Nikita : La naissance du groupe est venue de Zara, notre Napoléon ! Il est le chef d'orchestre, en fait, et également le producteur. Au départ, lui et Puma, notre chanteuse, étaient ensemble dans l'Apofeoz Sound Sytem et ils ne tournaient qu'avec des djs sur des riddims déjà existants. (Il se tourne vers Zara) Ce gars avait un rêve, il voulait réunir des musiciens d'univers différents pour en faire un groupe spécial, avec des harmonies particulières. Et il l'a fait ! Nous nous sommes construits petit à petit pour arriver à la formation actuelle : deux chanteurs, une chanteuse et cinq musiciens. Sans oublier notre mascotte, Killah (une sorte de bouledogue qui suit le groupe partout, ndlr) ! Puma : On s'est rencontrés il y a une quinzaine d'années, mais je pense que le groupe est né avant même que Zara naisse. En fait, je crois qu'il est né pour créer ce groupe !
Comment se porte la scène reggae en Lettonie ? Arrivez-vous à vivre de votre musique ? Nikita : C'est simple de jouer ici, il y a de nombreux lieux ouverts à ce type de musique et les gens aiment sourire, non ? Le reggae donne du sourire, du soleil alors qu'ici il y en a peu ! Puma : C'est vrai, le public se déplace pour nos représentations. Nous jouons une fois par semaine pendant toute l'année et deux fois par semaine pendant l'été. Les endroits ne sont pas grands, mais l'atmosphère est chaleureuse ! Léo : Notre public est varié aussi. A l'image des musiciens, ils viennent du monde du hip hop, du jazz et bien sûr du reggae. Ça nous procure des moments de partage intéressants. Zara : Mais nous ne pouvons pas vraiment vivre avec notre musique, nous sommes trop nombreux. Donc nous travaillons à côté. Ce que nous gagnons avec nos concerts, nous le dépensons pour du matériel, des logiciels... Nikita : D'ailleurs, nous sommes l'un des seuls groupes de reggae du coin, la preuve que ça ne paye pas ! Il y a quelques artistes en Estonie (James Plookie, Listonia, et des sound systems, ndlr), peu en Lituanie… La majorité des groupes sont en Russie, en Ukraine ou en Scandinavie.
Comment se passe la création des morceaux ? Ça ne doit pas être simple à huit ? Puma : Ce n'est pas si compliqué. Il faut dire que ça vient souvent de Zara, qui écrit les textes et qui les propose au groupe, ou alors de notre guitariste qui trouve souvent de nouvelles mélodies, et on travaille dessus après. Mais chacun peut apporter des idées ou proposer des pistes. Nikita : C'est un peu comme une boîte, chacun met des trucs dedans et à un moment, tu ouvres la boîte et tu fabriques quelque chose avec tout ça...
Si on joue en France, on devra faire des sous-titres pour que le public comprenne nos blagues !
Dans quelle langue écrivez-vous ? De quoi parlent vos morceaux ? Nikita : Nous écrivons en letton et en russe. Nous n'avons que quelques morceaux en anglais. C'est peut-être pour ça que nous jouons le plus souvent dans les pays de l'Est et en Russie, mais nous nous définissons comme un groupe nordique ! Puma : Nos chansons sont pleines d'humour et de joie, c'est notre façon d'écrire : nous aimons rire et cela se sent dans nos compositions. Si par chance nous venons jouer en France, on devra faire des sous-titres pour que le public comprenne nos blagues !
En 2011, vous avez participé au premier Reggae Sunsplash organisé dans les pays de l'Est, qui a eu lieu ici même, à Riga. Zara : Pour dire la vérité, l'organisation n'était pas au rendez-vous et ça a fait un flop. Le tourneur a positionné le festival pendant une fête nationale et il y avait plein de concerts gratuits partout en ville, donc peu de gens ont voulu payer une place ce jour-là ! En plus, il n'y avait pas vraiment de tête d'affiche, à part SunSay, qui commence à se faire connaître. En tous cas, pas de Jamaïcains. Puma : Mais le son était bon, la scène était immense ! Et le concert en lui-même aussi, il y eu du partage entre les artistes, c'est déjà ça...
En parlant d'artistes jamaïcains, beaucoup se déplacent jusqu'en Lettonie ? Nikita : Oui, quelques-uns, on a eu la chance de voir Jimmy Cliff, Lee Perry, Eek A Mouse. Zara : Ca ne fait pas tant que ça, finalement... Le problème est que faire venir des artistes depuis si loin coûte le même prix que de faire venir des popstars. Même si le reggae est plutôt populaire ici, les gens se déplacent plus pour les célébrités qu'ils voient à la télévision ou entendent sur les ondes.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Puma : On enregistre ! On n'arrête pas d'enregistrer ! Mais nous faisons tout par nous-mêmes, donc cela prend du temps. Nikita : Il y a aussi les concerts et nous manquons un peu de temps mais nous grandissons, les choses évoluent et vont dans le bon sens. Nous avons de bons retours et ça nous donne la force de continuer.
Un album est au programme ? Nikita : Certains de nos musiciens ont déjà enregistré leurs propres parties, il faut mettre tout ça en place maintenant et attendre que les chanteurs bossent (rires). Puma : C'est vrai qu'à sept, le plus difficile pour nous est de gérer le temps et les agendas de chacun. Entre les répétitions, les concerts, les enregistrements et le boulot, il faut être organisé. Léo : Mais c'est en cours, restez connectés et vous entendrez bientôt le prochain Apofeoz, si ça marche bien, on pourra venir le jouer en France...
A propos de concert, vous avez des souvenirs marquants d'une de vos représentations ? Zara : A part le flop du Sunsplash tu veux dire (rires) ? Puma : Bien sûr nous en avons ! Ce que le groupe préfère, enfin je crois, ce sont les petites salles avec une ambiance festive. En Lettonie, nous sommes servis, tous les lieux où nous jouons sont comme ça ! Nikita : On aime être proche du public, pouvoir distinguer les gens, leur parler en les regardant dans les yeux. Et parfois, les gens se sentent vraiment avec nous, ils montent sur scène et restent pour quelques morceaux, ce sont de bons moment...
Un mot sur la Lettonie et votre vie ici ? Puma : C'est un pays magnifique ! C'est agréable de vivre ici, malgré le froid hivernal... Nos vies sont simples, il y a beaucoup de créativité et de choses qui se font, dans les domaines culturels et artistiques. Les Français doivent venir pour voir ça. Nikita : Surtout les Françaises ! Même si il y a plus de femmes que d'hommes en Lettonie... Mais elles sont quand même les bienvenues ! Puma : Plus sérieusement, la moitié de la population de Riga est russe, ou plutôt russophone, car ils vivent ici depuis plusieurs générations. Malgré le passé entre nos deux pays, il n'y a pas d'animosité, nous arrivons à vivre ensemble, d'ailleurs, notre groupe en est la preuve.