INTERVIEW : GENERAL DEGREE
Propos recueillis par : Irie Nation
Photos : Rick De Blick
le samedi 07 mars 2015 - 5 144 vues
Humour, sexe et musique, tel est le triptyque fondateur de la discographie de General Degree. De retour l’année dernière avec un album dancehall, c’est sur un registre reggae que Degree s’est signalé cette année. Porté par sa chanson titre Feeling Irie sur un riddim de Germaica Austria, cet EP 100% reggae « pour [s]es fans européens » le ramène sur le Vieux Continent. L’occasion de revenir sur les hauts faits de sa carrière entamée à la fin des années 80.
Reggaefrance / Peux-tu nous présenter ton nouvel EP ? General Degree / L’EP s’intitule "Feeling Irie", c’est également le titre du single que nous en avons extrait. Je reçois de vraiment bons retours par rapport à cette chanson. Je l’ai chantée à plusieurs concerts et je constate que les gens m’accompagnent en chantant. Cela me fait plaisir car c’est la preuve que c’est une chanson et une mélodie titre qui sont accrocheurs. C’est pas mal pour un titre qui est sorti il y a juste quelques semaines. L’EP est à 100 % constitué de « Feel good music ». Je ne viens pas pour conquérir la scène reggae ou dancehall, ce n’est pas ce que je souhaite. Je continue simplement à faire ce que j’ai entamé dans la musique : je veux continuer à faire de la bonne musique, comme on la faisait dans le temps. Je veux aussi remettre la musique sur la bonne voie parce qu’à l’heure actuelle en Jamaïque, une partie de la tradition du reggae et du dancehall est en train de se perdre.
Tu es connu en tant qu’artiste dancehall. Pourquoi as-tu décidé de passer au reggae pour cette nouvelle production ? Au cours de ma carrière, j’ai toujours fait du reggae, je pense notamment à des titres comme Almighty God, It No Matter, Must Run Away… Je suis un artiste qui fait du reggae one-drop depuis très longtemps. J’en faisais déjà avant d’être connu d’ailleurs. Donc j’ai la capacité de faire du reggae hardcore. Et comme l’année passée j’ai sorti un album dancehall avec notamment des titres qui ont très bien marché comme Nuh Fraid ou Bambalam, j’ai voulu faire quelque chose de différent. Et donc, voilà que Tom Hype et Max Hustle de Germaica Austria m’ont envoyé ce riddim, sur lequel j’ai enregistré Feeling Irie. J’ai tellement aimé le feeling de cette chanson que cela m’a motivé à me replonger à nouveau dans le reggae. Et puis il faut dire également que j’ai constaté que les massives en Europe aime le roots et le rub-a-dub, bien plus que certaines des dernières tendances dancehall de Jamaïque. Et donc j’ai décidé d’enregistrer cet EP reggae principalement à destination de mes fans européens.
Quels sont les producteurs et les musiciens impliqués dans ton EP ? J’ai eu la chance d’avoir quelques légendes pour travailler sur "Feeling Irie". Fatta des studios Anchor a produit plusieurs des riddims. Et ceux-ci ont été joués par des musiciens comme Firehouse Crew ou Danny Bassie. Lenky a également été impliqué, pour un riddim qu’il a fait jouer par Sly & Robbie. Pour sa part, Steelie (du duo Steelie & Cleevie) a produit le titre Massive.
 Si cela n’avait tenu qu’à moi, la chanson Granny ne serait jamais sortie  L’EP sort sur ton label Size8… J’ai fait pas mal de production de par le passé. Mais après avoir sorti des riddims comme le Hot Milk/Quick Sand, le Mutton Snappa ou le Poison Gropper, au début des années 2000, j’avais un peu mis de côté mon label Size8. Je l’ai juste relancé à l’occasion particulière de la sortie de mon EP.
Depuis les années 90, tu as toujours réussi à sortir des hits de manière régulière. Quelle est ta recette ? Je préfère éviter de me poser cette question ! Je crois que la musique m’a trouvé, plus que moi-même je ne suis allé à la rencontre de la musique. Quand j’entends un riddim quelque part, le riddim me parle, j’entends quelque chose. Je suis aussi très rapide pour créer des mélodies, cela peut même se passer instantanément, c’est pourquoi je préfère toujours avoir sur moi de quoi enregistrer mes idées.
Je suis aussi producteur et je peux entendre des choses que beaucoup n’entendent pas. C’est juste un talent que je possède et pour lequel je suis très reconnaissant. Cela me permet de trouver des idées de manière constante. Par exemple, la chanson Bambalam qui a eu un succès mondial auprès des danseuses de zumba. J’étais à Panama pour un concert et on m’a présenté ce producteur qui ne parlait qu’espagnol. Il m’a joué son riddim et directement j’ai eu une idée qui collait au beat. On a enregistré la chanson directement. Et boum, elle a cartonné. Actuellement, sur Youtube, on trouve plus de 200 vidéos de chorégraphies et de filles qui danse sur la chanson. Ces vidéos proviennent de pays aussi différents que la Russie, Israël, le Mexique ou les Etats Unis… Donc je remercie vraiment le Créateur de m’avoir donné cette capacité à constamment rester actuel.

Comment as-tu démarré ta carrière ? Quand j’étais jeune, mon activité principale était la couture. Puis j’ai commencé à prendre le micro dans des sound systems comme One Love ou le Conquering Lion, le sound dont Garnett Silk faisait également partie… C’était à la fin des années 80. Je devais avoir dans les 17 ou 18 ans. Il y a même une cassette d’une session où Garnett chante et où moi je suis en mode deejay. Malheureusement je ne sais pas qui en a encore une copie. Plus tard, j’ai commencé à enregistrer pour Bobby Digital, Steelie & Cleevie, Penthouse Records, Danny Brownie… Je le faisais surtout pour le plaisir de faire de la musique. Et j’ai accumulé plein d’expérience en travaillant avec ces producteurs chevronnés. Même si au début, ma musique ne créait pas des vagues, je ne m’en faisais pas. Rien que le fait d’entendre un de mes sons à la radio me rendait heureux.
Quels sont les artistes qui t’ont inspiré ? La génération juste avant moi m’a passionnée. En tant que modèles, je prenais des deejays comme Supercat, Papa San, Lt Stitchie ou Professor Nuts…
La chanson qui t’a fait connaître est Granny, un titre très drôle… Dans quelles circonstances as-tu enregistré ce titre ? J’avais environ 20 ans à l’époque. C’était juste enregistré pour le fun au cours d’une session avec Danny Brownie. Si cela n’avait tenu qu’à moi, la chanson Granny ne serait jamais sortie. Parce que ce n’était pas vraiment General Degree qui chantait. C’était juste de la blague et des gimmicks, pas un travail sérieux. Mais Danny était tout emballé. Je lui ai dit que je ne voulais pas que la chanson sorte du studio mais il m’a supplié en disant « S’il te plaît, laisse-moi presser ce titre. On tient un numéro un, je te garantis. Donne-moi une chance !» Et donc il l’a fait. Je n’étais pas vraiment convaincu. Quand elle est sortie, je l’ai entendu la première fois à Halfway Tree. Des gens squattaient là et le titre jouait. Ils semblaient emballés. Comme je n’étais pas connu, j’ai fait semblant de rien et j’ai continué ma route… pour entendre le morceau un peu plus loin à nouveau… Des automobilistes l’écoutaient dans leur voiture. Je suis rentré chez moi ce soir-là et le lendemain quand je me suis levé, Granny tournait en boucle partout. Je suis devenu un artiste à la mode en une seule nuit !
Et le titre qui t’a donné une renommée plus internationale, Traffic Blocking, quelle est son histoire ? Il n’y a pas vraiment d’histoire d’automobilistes ou autre derrière cette chanson. Je voulais juste créer une vibe. J’ai donc commencé la chanson par un « Yeah, Yeah, Yeah…. » parce que je sais que les gens allaient aimer chanter cette partie… Et puis j’ai joué avec les mots comme d’habitude et comme je cherchais une rime avec « tights and stockings », j’en suis arrivé à « Traffick Blocking », qui n’est en fait pas un mot qui existe en anglais, normalement on dit roadblock ou traffic jam…

Quelle est ton opinion sur l’état actuel du dancehall ? C’est carrément différent maintenant. A l’époque, il y avait beaucoup plus de fun et d’amusement dans le dancehall. Et aussi, il y avait beaucoup plus de concerts et de sounds qui avaient lieu. En ce qui concerne les productions, beaucoup de riddims qui sortent maintenant ressemblent à du chewing-gum. Ils ne sont pas « real » et sonnent vraiment faux. Il n’est pas interdit d’improviser et d’essayer de nouvelles choses, mais il faut quand même que quelque chose dans la musique qui fait que tu te sens bien. Beaucoup de producteurs auto-proclamés ne sont même pas musiciens, ils ne font que s’amuser. Il faut savoir d’où on vient afin de savoir où on va, c’est bien connu. Donc si tu n’as même jamais écouté la musique de Yellowman, de Josey Wales, de Lone Ranger ou de Supercat, si tu n’as même aucune idée de qui sont ces artistes, alors tu ne pourras produire que des sons de m… Tu vas penser que tu fais quelque chose de bien alors que tu ne feras que du bricolage. Parce qu’il y a des recettes, des canevas, des formats qu’il faut suivre dans le dancehall si tu veux être professionnel et si tu veux que ta musique puisse toucher les gens.
On voit pas mal de jeunes artistes dans le dancehall qui crée la controverse avec leurs textes. Mais il y a 20 ans, avec des titres comme Pianist, toi aussi tu étais un artiste controversé… C’est vrai que certains trouvaient ce titre un peu vulgaire. Il a d’ailleurs été interdit à la radio en Jamaïque malgré son succès. Il n’a pas plu à tout le monde. Mais quand je vois certains des jeunes chanteurs à l’heure actuelle, je trouve que certains exagèrent vraiment. Le dancehall hardcore est ce qu’il est. Mais ils devraient nettoyer leur musique de tout ce qui est profondément offensant. Le but n’est pas de blesser les gens. Parfois, je constate que dans leur musique, il n’y a aucune morale.
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