INTERVIEW
Propos recueillis par : Maxime Nordez
le jeudi 24 juin 2004 - 19 968 vues
A l’occasion de la sortie de son quatrième album, Clinton Fearon, l’illustre bassiste des Gladiators, nous a accordés une interview et une version acoustique exclusive d’un de ces derniers titres. « Give and take a little my friend… »
Reggaefrance / Cela fait maintenant plus de 10 ans que tu joues avec le Boogie Brown Band… Peux-tu nous raconter votre histoire ? / Tu connais bien sûr l’histoire des Gladiators... J’ai formé ensuite un groupe avec des membres des Gladiators : The Defenders à Seattle, Washington. On a eu beaucoup de succès et on a pu être diffusés à un niveau international avant que le groupe ne s’arrête.
Des membres des Defenders sont-ils aujourd’hui dans le Boogie Brown Band ? Au départ il n’y avait qu’un membre des Defenders, le batteur John Rodde. Il a joué sur les deuxième et troisième albums : « Mystic Whisper » et « What a System ».
Dans le Boogie Brown Band, tu joues avec Lamar Lofton à la basse… C’est Jeff DeMelle qui joue sur le cd, tu as une copie de l’album ? Non. Tiens, en voilà une. La pochette française est différente, ils ont dit que ce serait plus « intelligent » de mettre une photo de moi ! (rires). C’était mon idée de mettre cette phrase en couverture pour que cela saute aux yeux dès qu’on la voit : « Give and Take »...le sens des mots (...)
Coxsone Dodd a produit la majeure partie de la musique des Gladiators, comment as-tu réagi à sa mort il y a quelques semaines ? Sa mort m’a très profondément marqué. Parfois, tu remontes dans l’Histoire et tu repenses à la relation que tu entretenais avec quelqu’un qui a disparu tout en sachant que tu ne le reverras jamais. Tu te sens fier d’avoir eu une relation avec cette personne, c’est exactement ce que je ressens pour Coxsone. La première chanson que j’ai chanté (à mon compte) a été pour Coxsone. Mes débuts se sont faits chez Coxsone. Mes deux toutes premières chansons « Rockerman soul » et « Freedon train » pour un autre producteur étaient des chansons d’Albert... J’ai appris énormément en jouant au Studio de Coxsone avec divers musiciens. Rencontrer tous ces musiciens m’a apporté une grande expérience et c’est aujourd’hui que j’en profite vraiment. Nous avons perdu quelqu’un de très puissant dans l’Histoire du Reggae. J’utilise le mot « perdu » parce que l’Histoire ne s’est arrêtée qu’en terme de « chair ». Ce qu’il a fait ne sera jamais perdu et est inscrit à jamais dans le Temps.
Peux-tu nous raconter ta tournée de l’an dernier avec Winston Jarrett et Apple Gabriel, tu en gardes de bons souvenirs ? J’en ai de très bons souvenirs ! J’ai toujours aimé la France. Tu ne trouves pas toujours cette chaleur. Je pourrai le dire de pays comme la Suisse ou la Suède...Mais pour parler de la France...c’est comme un père qui aurait deux, trois ou cinq enfants, il les aime tous mais il a peut être un petit penchant pour l’un d’entre eux, quelque chose de spécial ! (rires)
Ton premier concert avec les Gladiators, hors de Jamaïque, a eu lieu en France ? Non, c’était en Angleterre au Vera Club...Pour revenir sur ta question à propos de la tournée de l’an dernier, c’était vraiment très agréable. On a eu un très bon accueil de la part du public, on est rentrés avec plein de bons souvenirs. Pour cette raison, je me réjouis de revenir avec MON groupe !
Je n’ai pas encore écouté ce nouvel album mais je sais que tu aimes les sensibilités jazzy, c’est important pour toi d’ouvrir ton reggae à d’autres musiques ? Oui, tant que tu ne t’écartes pas des roots. Tant que les roots sont là, tu peux les colorer à ta guise ! Comme j’aime le dire : « Make sure you have the roots ». C’est comme un jardinier qui s’occupent de ses fleurs et va semer différentes graines (...) Il te faut avoir ces éléments principaux. C’est la même chose en musique ou en peinture. Tu vas utiliser du bleu à gauche, du jaune à droite, un peu de blanc pour éclaircir, tu vas travailler sur les ombres...Il s’agit de colorer le tout, c’est la même chose en musique.
Comment travailles-tu avec tes musiciens, tu leur dis quoi jouer ? J’écris toutes mes chansons moi-même. Dans certains cas, je leur dis quoi faire. Souvent ce sont les lignes de basse qui me viennent en premier et c’est normal car je suis bassiste ! J’y associe ensuite une mélodie, j’adore aussi les cuivres (je n’en joue pas mais j’adore ça !), j’ai des idées sur la façon dont je veux entendre les cuivres. J’adore les question/réponse avec les percussions. Après toutes ces années, j’ai passé beaucoup de temps en studio et j’ai maintenant une idée précise de ce que je veux entendre. Donc, je leur présente mon travail, la base, les roots du morceau. Cela laisse de la place à l’amélioration donc si quelqu’un me propose quelque chose qui sonne bien, on va bien sur l’incorporer. Mais dans la majeure partie des cas, je fais l’essentiel moi-même.
Tu habites toujours à Seattle, comment vis-tu ta foi rastafarienne aux Etats-Unis ? Comme j’ai dit précédemment, tu ne peux oublier les roots et je me souviens quand j’ai quitté la campagne pour Kingston, c’était déjà très différent. Mais je n’ai jamais sombré dans la délinquance parce que ce que je garde de mon pays ce sont mes amis, les arbres, les oiseaux, je suis heureux de revoir des amis que je n’ai pas vu depuis longtemps (...) Donc, j’ai beaucoup appris de l’amour et de la compagnie des gens. Quand j’ai déménagé pour Kingston, j’ai été choqué par les relations des gens dans la rue. Tu dis bonjour à quelqu’un qui ne te porte aucune attention ! Puis, j’ai dû commencer à acheter des choses qui m’étaient avant offertes comme des mangues, des bananes, des noix de coco et là j’ai redécouvert la campagne en me disant que j’y étais vraiment bien. Kingston est le meilleur endroit pour réaliser cela. Tu peux apprécier la nature, le fleuve, l’arrivée du printemps en te disant que ces vies sont très agréables. Donc tu as cela dans ta mémoire comme une base pour pouvoir continuer dans le positif en sachant comment la nature peut être magnifique. Puis tu déménages pour une ville encore plus grande que Kingston, tu quittes la Jamaïque pour un autre pays mais la Jamaïque ne te quitte jamais. Elle est toujours avec toi, tu fermes les yeux et elle t’apparaît. Tu te vois marcher dans la rue, tu vois les enfants jouer dans un joyeux vacarme, c’est chaleureux et convivial partout ! Je vis à Seattle et c’est une ville cool, je peux retrouver certaines choses mais il y fait froid, il pleut, c’est différent mais je veux y rester. Je suis heureux d’avoir vécu une bonne partie de ma vie en Jamaïque. L’esprit est quelque chose de magnifique et parfois tu dois puiser au plus profond de l’esprit pour rester sain. Donc pour répondre à ta question, je n’ai aucun problème avec le fait de vivre à Seattle.
Y a -t- il une communauté rastafarienne ? Il y a une communauté, pas très importante mais il y en a une.
Il y a deux ans tu disais à un journaliste que tu n’avais jamais parlé avec Albert Griffiths de ton départ des Gladiators, l’as-tu finalement fait ? On a parlé ensemble mais pas spécifiquement de ça. On s’est juste vus et demandés comment ça allait, on a parlé de ma visite et de combien de temps je restais, tout ça...mais la dernière fois que je suis rentré, je ne suis pas resté longtemps et j’ai passé le plus clair de mon temps avec ma famille. Donc nous n’avons jamais vraiment parlé de la rupture mais nous restons en bons termes. J’adore toujours Albert et selon moi, nous avons fait de l’excellent travail qui nous a fait nous sentir vraiment bien. La rupture c’est... c’est comme une relation amoureuse. Parfois tu aimes une femme et tu es avec elle depuis plusieurs années puis soudain cela ne marche plus, tu as l’impression qu’il manque quelque chose. C’est très dur et si tu y ajoutes les personnalités de chacun, c’est encore plus difficile. Cela n’a vraiment pas été simple des deux côtés...
Apparemment, cela a été une rupture très soudaine ? C’est la seule chose que je changerai si je pouvais le refaire. J’aurai dû expliquer dès le début à Albert mes envies de partir, il m’aurait sûrement mieux compris et au moins je lui aurai dit. Mais je ne lui ai pas dit parce que je savais qu’il ne voulait pas l’entendre et je ne voulais pas qu’il l’entende et soit vexé. Je l’ai fait par pur amour et je suis sûr que c’est finalement très bien ainsi. Je ne dis pas qu’avoir évité tout ça était la meilleure chose à faire mais c’est juste ce que j’ai choisi sur le moment. Et si cela n’a pas été le meilleur choix, c’est celui que m’ont dicté mes sentiments, je me suis protégé en quelque sorte. Si je l’ai blessé, j’en suis désolé. Mais j’adore toujours Albert et j’aime le travail que l’on a fait ensemble et je le vois comme une expérience qui m’a apporté énormément, je lui en suis très reconnaissant. La vie continue et encore une fois nous parlons de la famille...les enfants a élever, le père et la mère restent toujours tes guides mais il y a un moment où tu dois vivre ta propre vie et la mériter. C’est un peu comme une mère-poule sans ses poussins...mais c’est la vie, c’est la nature humaine. Quand tu regardes bien il n’y a aucune raison d’être hargneux dans cette histoire, nous ne sommes que des humains qui vivons notre vie différemment. La vie ne cesse de bouger, parfois le courant des fleuves changent, parfois il pleut, parfois il fait beau, la vie change sans cesse et toi tu en fais partie. Quand la lune est pleine tu ressens des vibrations différentes...Si tu regardes toutes ces choses naturelles intelligemment alors tu peux comprendre ce qui s’est passé entre Albert et moi...
Albert disait récemment qu’il se sentait vieux et voulait bientôt arrêter la musique, tu as 53 ans comment vis tu cette maturité ? Nous avons tous nos propres capacités et qui sait où elles s’arrêtent ! Albert a fait tant de choses, et s’il sent qu’il perd ses capacités, c’est très bien de reconnaître d’avoir achevé son travail, d’avoir mené le combat, et de se retirer. Heureusement ou malheureusement, je ne ressens pas encore cela car j’ai le sentiment d’avoir travaillé pendant tant d’années pour quelque chose. Maintenant le temps est venu pour moi de me réaliser personnellement et ce n’est pas encore arrivé. Je n’arrêterai qu’après avoir été écouté par le monde entier ou au moins un nombre qui me satisfera véritablement. Quand ce jour viendra...je ne ferai que commencer... (rires)
De juin à août tu seras en tournée aux Etats-Unis, et j’ai vu que tu seras en septembre à Lyon pour un festival reggae avec les Viceroys, ce sera une tournée française ? Oui, les Viceroys et Mateo Monk. Je passerai les deux dernières semaines de Septembre en France. Paris sera ma deuxième date. Je m’attache beaucoup aux tournées, j’adore ça, c’est toujours une grande joie.
Comment organises-tu la distribution de ton album en France ? C’est Sankofa Blackstar qui a la licence.
Tu travaillais avec Tabou 1 ? Non, je n’ai jamais vraiment travaillé avec Tabou 1, je leur ai simplement vendu 600 cds. Ils me les doivent toujours d’ailleurs !
Tu sais que la boîte a fermé ? Oui, mais ce n’est pas grave. Je travaille maintenant avec la société Sankofa Blackstar. Nous nous sommes fixés un but à long terme et toutes les personnes de la société que je rencontre y sont pour l’amour de leur travail et pas uniquement pour l’argent. C’est quelque chose de très important pour moi. S’il ne s’agissait pas d’amour de la musique, je ferai quelque chose d’autre depuis longtemps. Je survis grâce à la musique, je ne suis pas riche mais je survis grâce à la musique...Les réactions des gens sont le plus beau cadeau que j’ai jamais reçu. Quand ils viennent me voir à plusieurs pour me dire combien ils sont touchés par ma musique, qu’ils aiment ce que je fais ou quand tu apprends que les gens écoutent ton disque avant d’aller au travail, avant de se coucher...cela vaut bien mieux que tout l’or du monde. Et c’est ce que je disais, tant que ma musique n’aura pas fait le tour du monde, je n’arrêterai pas et tant que je sentirai que les gens la demandent, je continuerai. Tu ne peux pas dire que cela n’existe pas car tu l’as entendu dans la bouche des gens, c’est bien réel ! Si les gens veulent ma musique, elle est à leur disposition !
C’est pourquoi tu as créé ton propre label ? Oui, je préfère le faire moi-même et je ne veux pas arrêter donc c’est une nouvelle initiative…
Tu ne veux pas dealer avec la grosse machine de la musique ? Non, ce n’est pas que je ne veux pas, j’en ai côtoyé certaines et c’est quelque chose que je connais. Celles que j’ai pu contacté ne m’ont même pas répondu et celles qui l’ont fait m’ont demandé quand j’allais revenir avec les Gladiators. Donc je n’ai pas vu d’autre solution que de le faire moi-même. En le faisant, je me suis rendu compte qu’à force de frapper aux portes sans avoir de réponse tu finissais très frustré et cela t’enfonçait encore plus. Ces sociétés sont déjà énormes et avec ou sans toi, elles le resteront, donc pourquoi ne pas le faire ? C’est l’intérêt qu’il te porte qui laisse à désirer. Dans les débuts, les labels mettaient beaucoup d’énergie dans certains projets mais actuellement, et particulièrement pour le roots, personne ne veut investir quoi que ce soit parce qu’ils veulent un profit immédiat, c’est l’« immediate market » ! Quand ils acceptent de sortir quelque chose de roots, c’est pour faire des compilations ou des rééditions d’il y a 30 ans, ils préfèrent les réédités trois fois plutôt que de proposer du new roots, du roots récent. J’ai donc appris à faire tout ça moi-même, petit à petit...(rires)
Parlons de ce nouvel album, qu’as-tu voulu faire passer et donner aux gens avec cet opus ? Si tu regardes la pochette, tu vois « Give and Take » et si tu regardes le sous-titre, tu lis : « If equality and justice stand for all, then why so much injustice in the world, give and take a little my friend...». Je me contente d’observer la situation de ce monde qui va mal. L’individualisme, les inégalités dues à l’argent, il n’y est pas question d’humanité, tout n’est qu’enjeu politique. Et ils (les politiciens) s’affichent en te disant qu’ils t’aiment et qu’ils se soucient de toi mais ce n’est que pour faire de l’argent. Il n’y a aucune ingéniosité là-dedans, les politiciens sont de plus en plus doués pour manipuler les esprits des gens. Donc, ce cd parle beaucoup de ce qui se passe actuellement et c’est aussi une vision de la réalité, et aussi une proposition des chemins que l’on pourrait suivre pour trouver des solutions : l’amour. Parfois, je me dis que je suis un peu dépassé, je me sens comme un cliché, mais sans l’amour tu es mort...et je n’ai pas peur de dire, Love your brother, love your sister et je continue de le dire tout en étant conscient du positif, du négatif, de la lumière et de l’ombre, l’homme et la femme....cela marche comme ça et la question est de garder un certain équilibre. Nous ne devons pas détester le négatif qui ne doit pas haïr le positif. D’une certaine façon l’un supporte l’autre. Sans la sécheresse, tu n’apprécierais pas l’eau. Si tu n’a jamais été affamé, tu ne sauras jamais apprécié la nourriture, c’est comme ça que ça marche, il faut garder l’équilibre et actuellement les choses sont déséquilibrées. Il y a véritablement des catastrophes énormes. Je ne parle pas des ouragans qui vont t’effacer une ville ou des catastrophes naturelles, je parle de celles que nous créons comme la force nucléaire, le Bloodmoney et la vanité. Qui est plus méchant ou plus loyal que l’autre...et nous subissons tout ça sans se dire « Eh ! That’s your brother, you know ! » Ce cd te dit ce qui se passe et te dit aussi : voici une solution !
On sent tes premières influences dans ce titre, comme Otis Redding et la soul en général… J’aime toute la production de Motown, ça m’a beaucoup influencé, mais mes toutes premières expériences musicales ont été à l’église. J’étais dans une église adventiste et j’adorais le choeur et les belles harmonies. Il y avait sept soeurs qui chantaient, parfois trois, parfois cinq, parfois une, je m’asseyais pour écouter et j’étais au paradis ! Ca a été une grosse influence dans ma carrière. Marella Jackson qui était chanteuse de gospel m’a beaucoup impressionnée, Otis Redding, les Temptations...tous ces groupes qui avaient ce son. A une époque en Jamaïque tu as eu une série de groupes comme les Paragons, les Melodians, les Techniques...plus gros vendeurs qu’on ne le pense d’ailleurs ! Et quand c’était joué en sound, j’étais émerveillé et je me suis dit : j’adore ça ! Cela m’a fait comprendre ce que c’était de faire quelque chose de bien. Je voulais trouver une vibe puissante. (...) J’ai beaucoup aimé les I-Three’s et le travail de Peter et Bunny avec Bob.
Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ? Tu as tes préférences parmi les artistes actuels ? Je suis un peu gêné quand on me demande cela. J’ai du mal à écouter de la musique qui n’est pas joué comme moi je le fais. Quand je rends visite à quelqu’un, je lui demande ce qu’il a de neuf, on le passe et j’apprécie, mais le truc c’est que je suis toujours occupé à créer de nouvelles chansons. Et cela va m’occuper l’esprit une semaine entière. Je passe parfois un mois entier sur une seule chanson. Progressivement, les éléments nouveaux viennent et parfois ils te quittent pour revenir des semaines plus tard, ça dépend. D’une certaine façon, c’est une bénédiction, d’autres penseront que je rate beaucoup de choses mais c’est la même chose avec mes propres productions. Pour ce « Give and Take » qui sort maintenant, je vais l’écouter plusieurs fois en essayant de ne pas le juger puis je passerai à autre chose sans le réécouter avant des mois...
Tu n’aimes pas trop le dancehall et les dj’s ? Quand le dancehall a commencé avec URoy, Big Youth, IRoy... c’était complémentaire à ce qu’on faisait, ensuite c’est devenu très mécanique, c’est l’humeur et l’atmosphère (...) Quelqu’un va venir avec un petit clavier, sans batterie, sans basse, sans cuivres... c’est trop mécanique ! Encore une fois, j’aime les instruments qui sont joués réellement, tu peux sentir la chaleur de la vibe de celui qui joue, tu ne peux pas sentir la vibe d’une machine ! Dans ce sens je ne suis pas un grand fan du dancehall actuel bien qu’il y ait des jeunes très talentueux. Ce sont de bons artistes en termes de théâtre, de présence sur scène.... On ne peut les blâmer de faire ce qu’ils font, c’est une culture. Il n’y a que deux sortes de musique dans le monde : la bonne et la mauvaise. Donc tu as du bon roots, du mauvais roots et du bon et du mauvais dancehall. Je préfère le roots car j’ai grandi avec et je le connais mieux que le dancehall...
Et quand tu parles de dancehall, tu fais plutôt référence à URoy ou Dennis Alcapone ? Oui, mais il y a des nouveaux aussi très bien. J’aimais bien Michigan & Smiley...Dans les nouveaux venus, je ne me souviens pas des noms mais il y en a de très bons...Ce que je n’aime pas, c’est la non-créativité musicale. Dans le dancehall, ils jouent toujours sur des riddims de chez Coxsone, je trouve que quand tu reprends des riddims, il faut le dire...Je trouve que musicalement ce n’est pas assez créatif, en ce sens j’ai vraiment du mal à apprécier quelque chose qui ne me parle pas. J’adore écouter les instruments, reconnaître le style du batteur qui joue ou me dire : « Ca, c’est un bon guitariste ! ». J’ai du mal à me dire qu’un ordinateur travaille pour moi, n’importe qui peut le faire ! Ca manque de cœur !
As-tu déjà entendu tes propres lignes de basse passées dans un synthétiseur ? Oui, bien sur ! (rires) Ce n’est définitivement pas la même chose mais je respecte ce travail. J’adore le fait que la jeunesse fasse quelque chose dans la musique. Ils font de l’argent avec donc ils n’ont pas à voler, à s’enfermer dans des situations à problèmes dans lesquelles nous avons pu nous retrouver. C’est vraiment bien qu’ils puissent vivre de la musique et nourrir leur famille. Mon regret vient juste de la musique en elle-même, ils perdent en chaleur en ne jouant pas avec de vrais musiciens...
Et peut-être dans les lyrics ? Parfois dans les lyrics aussi. Tu ne peux prétendre au respect si tu ne respectes pas les autres. Trop souvent l’irrespect est tourné vers leurs propres mères ! Lorsque tu n’es pas correct avec une femme que tu croises dans la rue ou que tu tiens des propos injurieux à l’égard d’une femme, en lui disant : « Viens me faire ceci, viens me faire cela ! » ou « Nettoie-ça, fais-ça »... C’est comme si tu parlais à ta propre mère, chaque fille est une future mère. Il faut que chacun sache où le respect commence et où il s’arrête. Le respect inspire le respect. Nous voulons tous être respectés donc si nous voulons du respect, il faut en donner. D’autre part, il est question de Reggae Music et le dancehall en fait partie. C’est une musique spécifiquement jamaïcaine et la musique jamaïcaine est connue pour avoir un impact sur le monde d’un point de vue spirituel bien que tu y trouves aussi le côté obscur. Si tu regardes la situation du point de vue business, c’est très positif mais il faut faire attention à ne pas tuer le marché. Dans un moment, le dancehall sera perçu comme quelque chose de malsain puis plus tard encore, il disparaîtra. C’est un peu la même chose en ce moment avec le roots. La plupart des gens qui aime le roots achète les trucs des 70’s et des 80’s. Ils n’achèteront pas quelque chose des 90’s ou de 2000 parce qu’ils ont compris que les batteries étaient devenues électroniques, que les cuivres étaient joués au synthétiseur, qui fait aussi la guitare...Les artistes ont véritablement perdu leur habileté à écrire de bonnes chansons et à mettre une part d’eux-mêmes dans leur travail. Par conséquent, les gens préféreront acheter des enregistrements d’il y a 20 ans car cela leur parlera davantage. La différence entre roots et dancehall est dans l’état d’esprit. Si tu vas à un concert de dancehall, tu vas t’attendre à voir du théâtre, de la violence. Ce n’est pas quelque chose qui va s’adresser à ton âme, tu viens juste y chercher du divertissement. C’est totalement différent !
Nous parlions du marché, as-tu peur du partage de musique sur internet, du piratage ? J’en ai un peu peur c’est vrai. Mais dans un sens, cela peut nous aider. Ce qui est sûr c’est que l’on ne peut pas stopper le piratage. Si cela ne se passait pas sur internet, cela se passerait ailleurs. On ne peut rien faire contre, les pirates seront toujours des pirates. Tu as ceux qui pourraient te dépouiller de la tête au pied qui ne le font pas. Ils en ont la possibilité mais ils ne le font pas. Et tu as ceux qui ne savent même pas comment faire, mais vont essayer de te voler par tous les moyens ! (rires)
C’est encore une fois une question de respect/irrespect ? Oui. A partir du moment où tu mets une chanson en partage, elle ne t’appartient plus. Tu n’es même pas à la base du truc, tu fais juste partie d’une chaîne. Tu fais passer une énergie mais elle ne t’appartient plus personnellement.
Pour conclure, quels sont tes projets ? Continuer à faire de la bonne musique et j’espère, comme je l’ai dit, être diffusé le plus largement possible et en tirer un enseignement afin de préparer des lendemains meilleurs. Et je veux dire à tous qu’il ne faut pas oublier de faire ce que l’on aime et d’aimer ce que l’on fait. Car, si tu fais les choses avec amour, tu en tireras une grande satisfaction. Il faut prendre soin des gens qui nous entourent, des fleurs, des oiseaux, des arbres. Nous devons faire très attention à la Nature car elle est toujours prête à te rendre ce que tu auras bien voulu lui donner.
Merci ! Merci de faire ce boulot, man, car nous sommes tous ensemble, il n’y a pas que les artistes. Ce que vous faites est tout aussi important.
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