INTERVIEW
Propos recueillis par : Alexandre Tonus
Photos : Karl Joseph
le lundi 08 novembre 2004 - 12 223 vues
De passage cet été à Bagnols-sur-Cèze, Cocoa Tea nous a accordé une interview où il nous parle de ses influences et de sa carrière… Rencontre avec l’un des pionniers du Dancehall lovers !
Reggaefrance / Pouvez-vous présenter ? D'où vient votre nom ? / Je suis né à Clarendon, en Jamaïque. La plupart des gens viennent de Kingston ou d'autres endroits, mais moi je viens de Clarendon, comme Freddie McGregor, Toots & The Maytals, les Clarendonians… Quant à mon nom… Un soir, ma mère m'a dit qu'elle ne voulait pas cuisiner. Elle a dit qu'elle voulait du thé. Je lui ai dit : ‘‘Oui maman, du thé chaud à la noix de coco ! (Some hot coco tea !)’‘. Les enfants des voisins ont commencé à m'appeler Coco Tea. Quand vous avez un surnom et que vous ne l'aimez pas, les gens cessent de vous appeler comme ça. Mais si vous l'aimez, vous le gardez. C'est comme ça que j'ai pris ce nom.
Quelles sont vos influences ? Qui vous a donné envie de faire de la musique ? Je pense que suis né pour faire ça. Depuis que je suis très jeune, j'adore chanter. Je chantais en marchant, en me reposant… Tout ce que je faisais, je le faisais en chantant. C'est un peu quelque chose d'inné. Quelque chose qui m'a été donné par Jah.
Vous étiez jockey pendant un moment… Oui, j'adore les chevaux, et je suis toujours dans ce business. Ma passion pour les chevaux a commencé en 1976. Vous savez, je suis petit, fin, les gens me disaient : ‘‘Tu pourrais faire un bon jockey ! Pourquoi ne pas aller au fourgon ?’‘ Un jour, quelqu'un m'y a emmené. J'ai cet amour des chevaux depuis ce temps-là. Mais l'amour de la musique était si fort que j'ai laissé les chevaux de côté. Je devais avancer.
Votre première chanson était Searching in the hills… J'avais 14 ans à l'époque, j'étais très jeune. Cette chanson a été écrite par quelqu'un d'autre. Il m'a fallu dix ans après ça pour véritablement percer dans la musique. Je ne savais pas vraiment écrire une chanson à cette époque. Il m'a fallu prendre mon temps, attendre patiemment dix ans que je maîtrise l'art de l'écriture d'une chanson. Quand je suis revenu, j'ai pu me lancer.
Dix ans après, votre carrière démarre véritablement avec le producteur Junjo Lawes sur Volcano Records. Pouvez-vous nous parler de cette période ? Junjo Lawes n'est pas considéré comme quelqu'un de facile, presque un badman… Non, Junjo Lawes n'était pas un badman, il n'était pas non plus une personne difficile. Il était né à Kingston et avait grandi à Kingston. La plupart des gens pensent que les personnes nées à Kingston sont mauvais. Mais ce n'est pas comme cela. Ils y a des gens biens et d'autres mauvais, c'est ainsi que va la vie. Tout dépend de votre expérience avec la personne que vous considérez comme bonne ou mauvaise. Avec moi, et en ce qui me concerne, c'était quelqu'un de bien. Il m'a appris beaucoup de choses. Je savais comment chanter, mais c'est lui qui m'a appris les ficelles du métier.
Travailler avec Junjo Lawes était très agréable. Il savait repérer les personnes qui ont le talent pour aller au top. Tous les artistes à qui il a dit : ‘‘Tu as le talent pour devenir grand’‘, toutes ces personnes-là sont allées au top. En ce qui concerne le ‘‘bad guy’‘, je n'ai jamais vu ce côté-là de lui. J'ai toujours considéré le producteur, la dimension musicale du personnage. Et cette facette de lui était vraiment cool.
Vous avez ensuite rejoint King Jammy's avec qui vous avez fait plusieurs albums. C'est à cette époque que vous avez collaboré avec plusieurs artistes dancehall, comme Spragga Benz ou Shabba Ranks. Quelle est votre opinion sur les artistes dancehall en général ? Nous sommes les premiers artistes dancehall de Jamaïca. Je dis ‘‘dancehall original’‘ dans le sens où on a appris le métier dans les salles de danse. Tout a commencé quand Volcano Sound est arrivé à Rocken Pine. Junjo avait un sound qui s'appellait Volcano Hi Power. Quand ils sont venus jouer dans ma région, à Clarendon, les gens voulaient que je prenne le micro. Ils me l'ont donné, et c'est comme ça que j'ai été découvert. Ma carrière a commencé avec la période dancehall, des gens comme Josey Wales, Charlie Chaplin, Brigadier Jerry, Lone Ranger, Linval Thompson, ces gens-là. Je suis issu de toute cette période.
Il n'était pas difficile de travailler avec ces artistes. En fait, c'était même plus facile, dans le sens où j'étais un peu leur professeur, à leur expliquer comment faire certaines choses. C'était vraiment très agréable de travailler avec ces artistes. Des gens comme Shabba Ranks. Il est très talentueux, il a des mélodies qui s'incorporent très bien avec ma voix. A chaque fois qu'on fait des combinaisons, c'est vraiment réussi parce que nos deux mélodies se rejoignent très bien.
Mais le dancehall d'aujourd'hui n'est plus le même… Non, le dancehall d'aujourd'hui, ce n'est plus la même chose. Pour moi, le dancehall d'aujourd'hui est triste et ennuyeux. Les gens vont danser, mais pendant 10 ou 20 minutes. Il y a cette vibe, et l'instant d'après elle a disparu. Elle n'emmène pas au niveau le plus haut. Ca vous prend de haut et vous descend. Notre dancehall vous emmène vers le haut sans s'arrêter. La mélodie est irrésistible. Avec une bonne mélodie, de bonnes paroles et un bon riddim, beaucoup de choses peuvent se passer.
Vous avez ensuite rejoint d'autres label, comme X-terminator, ou Digital B et Gussie Clarke. Quels différences dans la manière de travailler y a-t-il entre eux ? C'est difficile à dire. Vous savez, il était assez facile de travailler avec eux. Une fois que j'entend le riddim, je peux en faire quelque chose. Ce n'est pas le producteur qui fait de vous un bon artiste. Le producteur peut vous apprendre certaines choses que vous ne savez pas. Mais pour devenir un bon artiste, il faut travailler soi-même. Il faut être suffisamment versatile pour poser sur les riddims. Aujourd'hui en Jamaïque, dans le dancehall, un mec fait un riddim, et trente ou quarante artistes chantent dessus. Si vous êtes un bon artiste, vous faîtes une bonne chanson. Certains font une bonne chanson et n'arrivent pas aller plus loin. Quand vous êtes un bon artiste, vous pouvez travailler avec n'importe qui facilement.
Vous êtes justement producteur, avec votre label… Mon label s'appelle Roaring Lion, il existe depuis 1995. Nous avez fait quelques très bonnes chansons yuh know ? Nous produisons de jeunes artistes, et des artistes majeurs en Jamaïque comme Sizzla, Buju Banton, Capleton, Marcia Griffiths, George Nooks, Sanchez…
Quel est le prochain objectif de votre carrière ? Well… Je ne vois pas vraiment la musique comme une carrière. C'est un travail que j'ai envie de faire, je ne me limite pas à quoique ce soit dans la musique. J'ai juste envie de le faire. Ca vient du cœur. Tous les jours j'ai envie de chanter des chansons et de rendre les gens heureux. La musique est la seule chose qui fait oublier aux gens leurs problèmes. Ils peuvent s'asseoir et écouter ce que j'ai à dire. La musique peut les inspirer, leur donner du courage, persévérer… Ne pas penser à se suicider, yuh know what I mean ? (rires).
Là où je me vois dans le business, c'est pour essayer d'élever les plus jeunes. Pour qu'ils reproduisent mon schéma, qu'ils s'inscrivent dans la durée. Les artistes d'aujourd'hui ne durent pas vraiment longtemps. Il arrivent, restent un an ou deux, et commencent à disparaître. C'est à cause du style de musique qui sort actuellement. Quand je chantais la nuit dernière, les plus jeunes comme les plus vieux dansaient, ce qui signifient que cette musique transcende tous les liens, d'une génération à une autre. C'est ce que devrait être la musique. Ma première chanson date de 1974 : elle a trente ans. Et je la chante à l'heure actuelle ! Et elle sonne toujours aussi bien ! Si la musique est bonne, elle perdure. Bob Marley est mort depuis longtemps mais sa musique vit encore. Ce n'est la ‘‘hype’‘, mais le ‘‘type’‘ de musique qui importe. C'est ce que je veux apprendre aux jeunes.
Avant de venir dans ces endroits, des gens m'ont appris à identifier le meilleur moment pour venir, le nombre de morceaux, de hits avec lesquels venir. Quand vous êtes un artiste jeune, vous devez avoir assez de morceaux à chanter au public. Quand vous venez en France ou en Allemagne, vous faîtes un bon show, les gens sont contents et prêts à revenir pour un autre concert. Mais si vous venez avec une seule chanson, ce n'est pas très encourageant pour le public qui veut en avoir pour son argent. Mon but est d'éduquer les jeunes de la même manière que je l'ai été. Pour faire du bon travail et rester longtemps dans la musique. Pas comme ceux qui restent trois-quatre mois ou un an ou deux au top.
Après cette tournée, quels sont vos projets ? Après avoir fini cette tournée, je vais partir en tournée avec Capleton aux Etats-Unis pendant sept semaines. On a fait six semaines l'année dernière, et on a eu beaucoup de succès. C'est pourquoi on fait sept semaines cette année : à la demande des gens. Après cela, je vais donner un concert en Jamaïque. J'organise mes propres concerts en Jamaïque maintenant. Il s'appelle ‘‘Original Dancehall’‘, Jam Jam. C'est un concert dancehall, nous n'utilisons pas de backing band. Seulement les sounds. Il y a un DVD, produit par mon label et distribué par Island, qui s'intitule ‘‘Original Dancehall’‘. C'est la première édition, qui s'est tenu l'année dernière en Jamaïque. C'est vraiment un gros show. Cette année-là il y avait 20.000 personnes.
Sur mon label, j'ai un album de Noël qui va sortir, probablement chez VP. Vous pouvez commencer à le chercher. C'est une compilation d'artistes comme moi, Singing Melody, Sanchez, Richie Stephens, et pleins de jeunes artistes.
Je vous ai vu en Allemagne il y a deux jours. Vous avez eu un gros forward là-bas. Quelle est votre opinion sur le public européen ? Les européens aiment et aident le reggae. On aime beaucoup donner des concerts en Europe parce que le public te montre beaucoup d'amour. C'est très agréable d'être en Europe, j'aime l'esprit des gens ici. La nuit dernière, c'était incroyable de voir les gens tenir debout toute la journée et jusqu'à quatre heures du matin. Ils s'amusaient encore ! Je suis allé dans beaucoup d'autres endroits où le public est plus fatigué, et veux rentrer chez lui. Ici les gens sont vraiment into it, et j'adore ça !
Un message pour nos lecteurs ? Je voudrais adresser un message aux Français. Quelque soit la couleur ou la race, nous sommes tous un être unique. Nous devons nous montrer de l'amour les uns envers les autres, s'entraider. Nous devons nous rassembler et nous défendre parce que le monde ne tourne pas rond. Tous les gens doivent se rassembler : noir, blancs, violets, roses, bleus. Tout le monde doit venir. Les gouvernements du monde sont ceux qui dictent aux populations ce qu'il faut faire, et ce n'est pas bien. Nous voulons que les gens aient leur mot à dire dans les affaires, dans ce qui se passe. Les gens doivent se mobiliser, être vigilants, parler au gouvernement. Bun Corruption !
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