INTERVIEW
Propos recueillis par : Charlyman
Photos : Benoit Collin
le vendredi 03 décembre 2004 - 22 312 vues
A 27 ans, Sir Samuel a déjà connu le succès avec ses compères du Saian Supa Crew, mais sa volonté lui a donné l’envie d’aller encore plus loin… Du rap au reggae, Sir Samuel a franchi le pas. Mais ne lui demandez pas de se revendiquer d'un milieu plus que d'un autre.
Nous l’avons rencontré dans sa maison de disques, Virgin, à l’occasion de la sortie prochaine de son premier album solo en mars… Calme et détendu, le singjay nous est apparu très serein… Pour lui, un seul objectif : Vizé pli o !
Reggaefrance / Nous te connaissons finalement peu en dehors du Saian, peux-tu te présenter rapidement? / Je suis Sir Samuel, je fais partie du Saian Supa Crew et c’est mon premier album solo.
Je suis d’origine guadeloupéenne et martiniquaise mais j’ai grandi à Sarcelles et à Bagneux en région parisienne. Mes débuts dans la musique datent de 1988, quand j’étais à l’internat : j’ai commencé par rapper dans la cours puis j’ai monté un petit groupe de reggae qui s’appelait Enfants des Iles. Ce groupe a fait naître de bonnes vibes et m’a permis de progresser…
Tu as également fais un petit passage avec la Mafia Trece ? Oui, enfin ce passage, c’était plutôt des heures de pratique en studio, ce n’était pas une intégration totale du crew. Je n’avais aucun lien avec eux mis à part ces petites interventions, souvent des featurings.
Déjà à l’époque, tu jonglais entre rap et reggae, j’ai l’impression qu’aujourd’hui c’est un peu pareil… Finalement, tu n’as jamais voulu te consacrer à un seul de ces deux genres ? Non, parce que j’aime trop les deux. J’écoute du rap au même titre que du reggae. Du coup, dans l’album, tout se mélange comme dans le Saian tout se mélangeait déjà… Et même avant, je jouais avec cette mixité !
A la base, j’aime le reggae mais je ne suis pas Rasta. Je pense qu’il ne faut pas tout confondre : le reggae, ce n’est pas la musique du mec qui fume son joint et qui médite pendant que le monde tourne. Comme le rap, le reggae possède un côté urbain et militant. Moi, je vis ici, à Paris, et pas sous les cocotiers ! Donc le hip hop, comme le reggae et le dancehall, fonctionne aussi dans ce cadre de militantisme. C’est mon truc !
Pourquoi as-tu choisi le nom de Sir Samuel ? Simplement pour la distinction ! Parce que je voulais garder un nom simple d’abord. Et puis même si je ne suis pas Rasta, j’ai lu la bible et donc il y a aussi des raisons bibliques : Samuel est un prédicateur dans la bible ! Mais je ne fais pas trop étalage de la spiritualité dans mes chansons ; je tiens à le dire sciemment !
Ton parcours t’a ensuite rapidement mené à fonder le Saian avec Leeroy Keziah entre autres… Comment s’est déroulée cette période ? Il y avait une fête de quartier dans notre ville à l’époque… Cela faisait trois ans que je n’avais pas vu Leeroy ! On s’est croisé par hasard dans la rue ; il m’a dit qu’il avait enregistré quatre titres. Je les ai écoutés, debout dans la rue. C’était mortel ! On est tout de suite parti au Studio Nomad où Dj Fun nous a présenté OFX et Explicit Samouraï ! On a tous pensé à monter ensemble le crew le plus fort du monde…
Après l’énorme succès que tu as connu avec le Saian, comment t’es-tu décidé à faire ta propre expérience en solo ? En fait, quand on a signé le Saian, c’était le but du crew. On voulait arriver ensemble avec un style, un genre propre au groupe, pour pouvoir ensuite sortir les différentes entités. On est tous plus heureux de voir que chacun évolue de son côté car c’était ça le but premier du crew !
On a toujours été d’accord. Même dans la conception des premiers albums du Saian, chaque partie des chansons était personnelle. Chacun pouvait l’interpréter avec le style et l’écriture qu’il voulait ! On ne se déteint pas les uns sur les autres. Au final, les gens peuvent écouter une chanson du Saian sans aimer le premier couplet parce qu’il est rappé, et préférer le deuxième parce qu’il est chanté… C’est dans cette optique qu’on a bossée avec le Saian !
Je crois d’ailleurs que tu continues également à travailler et à avoir de bons rapports avec les autres membres du crew ? Oui ! Enfin Specta s’est écarté du Saian mais il est toujours avec Leeroy dans Explicit Samouraï. Ils sortent d’ailleurs un album qui s’appelle ‘‘Rap’‘ en ce moment… Mais le Saian reste actif à cinq, avec Féniski, Sly, Vicelow et Leeroy ! Depuis la fin de l’enregistrement de mon album, on a réalisé quatre maquettes pour le prochain opus du Saian ! On avance tranquillement… Et puis, si mon album marche bien, je commencerai sûrement le second en même temps. J’aime bien avoir une bonne masse de travail devant moi !
Même s’il a toujours été présent sur la scène reggae, le Saian a un public davantage tourné vers le hip hop… A qui destines-tu l’album solo ? A travers le Saian, je visais déjà le milieu du reggae et des sound-systems. J’aime bien la place que j’occupe. Je n’aime pas dire que je fais partie du mouvement reggae ou de celui du rap : cela me permet d’aller vers les deux milieux sans qu’il y ait de préjugé. Quand je vais dans les sound-systems, les gens savent ce que j’ai fait et cela me permet de poser mon morceau de rap dans le sound. Les salles big up toujours mon boulot. Et puis, au moins, je peux me le permettre ! Alors que si un artiste reggae s’essaie au rap dans un morceau, on dira le plus souvent de lui qu’il n’est pas intègre, qu’il n’est pas dans sa vibe ! Je veux entretenir mon mode hybride entre hip hop et reggae, je me sens à l’aise dans les sounds aussi.
Quel est le message de l'album ? Dans ‘‘Vizé pli o’‘, c’est vraiment chaque chanson qui est un hymne à la positivité. Bien sûr, j’aborde des sujets difficiles, comme dans Bamboula, où je parle de ma condition de Noir en France. Il y a aussi Ce Pays, où je parle des relations entre le gouvernement français et les gouvernements africains : de ce que l’on nous montre à la télévision par rapport à ce que les Africains subissent ! Mais quoi qu’il arrive, tous les messages sont positifs ! Cela va permettre de ‘‘ vizé pli o ’‘… ‘‘ Vizé pli o ’‘, c’est le générique de l’album, chaque chanson aurait pu s’appeler comme ça ! Et puis, je voulais montrer que j’en avais encore beaucoup dans le ventre, que je vise plus haut ! Là, je suis passé à autre chose, à un autre niveau : avant je ne faisais que des couplets de huit mesures. Là, j’ai dû écrire et poser des chansons entières. J’ai vraiment pris confiance en réalisant cet album.
Tu as gardé la même maison de disques ? Oui, c’est Virgin et BMG pour l’édition. Je continue avec eux parce qu’ils me laissent franchement voler de mes propres ailes. Ils me laissent tout faire : de l’image servant au track-listing jusqu'au contenu à proprement parlé de mon album !
Tu as donc été complètement libre dans tes choix ? A partir du moment où tes messages sont forts et bien formulés, tout passe sans faire de forcing ! Libre à toi ensuite de les véhiculer !
Tu as la chance d’être un des rares artistes du milieu, en France, à sortir un premier album avec le soutien d’une major… Oui, je m’en rends compte, mais après ce sont les gens qui diabolisent le truc, alors qu’il n’y a rien à diaboliser… Je veux dire que de mon côté, Virgin m’a mis à l’aise : j’ai fait ma musique !
Admiral T, par exemple, est allé re-signer chez Universal et personne ne lui a rien reproché… C’est encore différent pour Admiral T : pour lui, le combat a changé ! Quand il a été acheté par Universal, il a fait son morceau avec Pearl, et là, il a changé sa garde ! Moi, mon disque est intègre de A à Z ! Au départ, j’ai fait les maquettes tout seul. C’est quand Virgin m’ont dit qu’ils avaient kiffé que tout a commencé et qu’ils ont investi dans l’enregistrement. Parce qu’ils aimaient vraiment ! De mon côté, je voulais rentrer en studio, Virgin avait les facilités de service, il est normal que je m’en sois servi pour me développer. Je n’ai signé que pour un seul album : tout dépendra ensuite de son succès. Je reste libre et en même temps, je peux faire du travail sérieux, en ayant du son de qualité. En France, le reggae manque de rigueur, de qualité sonore et de confort pour les gens qui écoutent notre musique… Virgin m’a permis d’aller vers ce confort. Les gens pourront écouter des paroles, un one-drop, un boggle… pas des ‘‘ foutaises ’‘ un peu polies pour que ça passe !
Tu peux nous parler de ce que l’on va trouver dans l’album ? L’album est propre à mon style de singjay : je chante et je toaste, c’est mon truc ! Il y a sept morceaux reggae, six morceaux avec des beats hip hop, et deux dancehall, contrairement à la vague du moment. En fait, ça fait longtemps que je suis dans ce milieu et le dancehall a beau être performant, chaud… je pense que sur un album, il faut développer d’autres côtés. Il faut aller plus loin que simplement chercher à amuser et épater la galerie. Je pense qu’il faut aller trouver d’autres sentiments chez l’artiste et chez ceux qui écouteront. Le dancehall, c’est difficile : les gars ont des styles de ouf, ils ont des flow trop rapides… mais au niveau des messages, c’est plus aléatoire ! Par exemple, de mon côté, je préfère mettre en valeur l’image de la femme et les adorer, plutôt que de toujours parler des homosexuels. Même si je ne cautionne pas, bien sûr. Le morceau Tout le monde rêve d’une femme, c’est ma façon à moi de le dire ! Ainsi tu peux véhiculer tes messages.
Aujourd’hui, dans le dancehall, ils ont tous la même manière de dire les choses et je trouve que c’est un peu réducteur pour un milieu qui a des messages forts à passer. C’est aussi le rap qui m’a apporté ça : le rap, je le vis avant de le chanter ! C’est pour cela que je précise que je ne suis pas Rasta, car je ne veux pas que le public reggae ait une mauvaise appréciation de moi. Je suis un homme sincère, qui vient offrir ses chansons à son public ! Il n’y a pas d’appartenance ou quoi que ce soit !
Dans l’album, il y a également une chanson en hommage à ma fille de trois ans, dans lequel mon père est intervenu à la guitare jazz. Elle me tient à cœur… Comme Love, le morceau avec Sugar Minott. Black a dit est un peu plus léger, mais il fait partie de mes préférés aussi… C’est un big up au jeu ‘‘ Jacques à dit ’‘… De toute façon, tout l’album me tient à cœur ! Ce ne sont que des chansons qui ont une raison d’exister selon moi ! Elles parlent d’amour, de respect, d’intégrité, de bonhomme…
Peux-tu nous parler de ta rencontre avec Sugar Minott ? Cela s’est vraiment fait à la vibe ! Il était en France et on m’a proposé de le rencontrer. Je me suis rendu au studio et nous avons tout de suite posé une tune. Le lendemain, nous en avons fait une autre, et le surlendemain on a enregistré trois morceaux : un pour son album, un autre pour une compile, et un dernier qui est sur mon album. C’est un peu lui qui est le déclencheur de mon projet. Il m’a expliqué les choses simplement. En fait, c’est le premier morceau qu’on a enregistré, et il m’a montré que cela pouvait être simple de travailler un album ! Il m’a beaucoup rassuré…
Tu fais également une combinaison avec Jocelyne Bérouard, de Kassav… Pour ce morceau, j’avais le refrain, ‘‘ Vizé pli o ’‘ en tête, et je me suis demandé comment elle aurait écrit le reste de la chanson car j’écoutais beaucoup de Kassav quand j’étais petit. Puis j’ai écrit, mais à la base, cela n’avait rien à voir avec ce projet : c’était juste une inspiration pour me mettre en condition. Puis j’ai fait écouter le son à Gyver, mon producteur, et il m’a encouragé à demander à Jocelyne de venir poser sa voix. Moi, je n’y croyais pas à l’époque, mais elle est venue ! Elle a écouté le morceau… il lui a tout de suite plu ! Elle me disait qu’elle avait même du mal à s’écarter de ma partie… Et ça personnellement, c’est de la magie… C’est avec Jocelyne que j’ai été le plus impressionné. Je regardais ses concerts quand j’étais petit, je suis allé la voir au Zénith, ma maman chante aussi ses chansons… C’était monstrueux ! Même si ce n’est pas vraiment le même milieu, c’est une dame qui a fait des concerts à New York, en Chine, au Japon, en Australie, devant des milliers de personnes ! Et ce qui est fort, c’est que malgré tout ça, elle était inquiète de savoir si sa partie était vraiment bonne ! Elle souhaitait qu’on la rappelle si cela ne nous plaisait pas ! Après tant d’années de carrière… respect : beaucoup de professionnalisme.
Et pour les autres ? Straika, j’avais fais une tournée de quelques dates avec lui, Nuttea et Difanga. On s’est lié d’amitié à cette époque… Il est très reconnu dans le monde du reggae roots et spirituel et je voulais le sortir un peu de ça en lui proposant de poser sur un beat hip hop, en créole ! Au début, il était un peu réticent, mais au final, il a fait un seize mesures mémorable sur le morceau ‘‘ Vampire ’‘ avec Dadoo également ! Djon est un rappeur efficace ! C’est le petit frère de Gyver : je tenais à le big up par sympathie...
Tu souhaites peut-être ajouter quelque chose ? Visé pli o, gadé pli loin, Sir Samuel o mic, Saian Supa Crew !!
Arrivée en mars 2005 ! Big up à tous, je vous aime tous… Big up !
Remerciements : Nadia
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