INTERVIEW :
Propos recueillis par : Daniel Turner
Photos : Camille Chauvel / Benoit Collin
le vendredi 30 décembre 2005 - 12 626 vues
A l'inverse de la tendance générale en Jamaïque, Warrior King a décidé de prendre son temps avant de son sortir son deuxième album, "Hold The Faith". Entre temps, plusieurs artistes roots ont réussi à s'imposer, mais Warrior King poursuit imperturbablement sa route. Après "Virtuous Woman" en 2001, porté par le succès du morceau du même nom, son nouvel opus n'en trahit pas l'esprit.
Reggaefrance / Le nouvel album reprend là où Virtuous Woman nous avait laissés. Que s'est-il passé pour Warrior King entre-temps ? / Une croissance spirituelle, j'ai beaucoup appris, travaillé avec de nouveaux musiciens et différents producteurs. Je suis devenu plus humble, plus discipliné et j'ai pris encore plus d'inspiration auprès du Plus Haut. Avec les tournées, j'ai acquis plus de visibilité, d'expérience et de maturité. Quand j'ai commencé en Jamaïque, je n'étais pas confronté à la scène internationale et à des publics différents. Maintenant, quand j'écris, je pense plus globalement, à des races et des religions différentes. Ils apprécient tous Warrior King, donc il faut que j'apprenne.
Un des thèmes dominant de l'album est l'éducation. Quelle importance lui donnes-tu ? L'éducation est une facette importante de la musique. Education is the key. En tant que Rasta, je me dois de mettre l'accent sur l'éducation, parce que ça peut vraiment changer les choses pour les miens. L'éducation peut apporter de l'inspiration aux jeunes. J'ai travaillé avec des écoles, parlé aux jeunes de leur attitude, parce que tout ne se résume pas au talent, l'attitude est très importante aussi.
Je suis donc allé dans des écoles, j'ai chanté des chansons et parlé aux jeunes. Ils étaient très réceptifs, peut-être parce qu'ils me regardaient en tant qu'artiste et pas comme un parent ou la famille. Je leur ai dit d'être positifs, de ne pas gâcher le temps qu'ils passent à l'école, d'éviter le crime et la violence, et de montrer de l'amour à tous les gens qu'ils rencontrent. Ils écoutent vraiment ce que tu as à leur dire.
Ta princesse et les femmes en général représentent aussi une part importante de ton travail… J'ai toujours chanté des chansons d'amour pour les femmes, parce que je ne peux pas les laisser tomber. Elles sont les mères de la Création et il faut leur rendre hommage. Homme ou femme, tout le monde vient d'une femme. La femme est la fondation, même la Terre est comme une femme : tu plantes une graine et cela donne un fruit. Donc j'ai beaucoup de respect et d'amour pour les femmes. Elles sont des reines, des déesses, elles devraient s'aimer et s'honorer elles-mêmes. Les femmes ne sont pas des objets sexuels, elles sont des mères, des filles et des épouses, et elles doivent être traitées avec respect.
Maintenant que le one-drop est revenue sur le devant de la scène, c'est le bon timing pour toi ? J'ai toujours suivi mes propres vibes, peu importe ce qui se passe autour de moi, que ce soit du jump up ou du roots & culture. Le one-drop est revenu au moment où mon album est prêt et que les vibes dans le reggae sont mûres pour le recevoir. C'est l'œuvre de Jah, la vie est un cycle et c'est pourquoi je ne me précipite pas. Je prends mon temps, et tout arrivera au bon moment.
Beres Hammond m'a appris une grande leçon. Il m'a dit : "Warrior, tu ne dois pas précipiter la musique. La musique, c'est comme les personnes âgées : si tu les presses, ils s'énervent et te rendent la vie impossible. Par contre, si tu prends le temps, ils seront très coopératifs. Si tu prends ton temps avec la musique, tout ira pour le mieux. La musique était là avant toi, et elle sera toujours là après toi. Alors prends juste ton temps, sois sûr de faire les choses correctement pour que le public apprécie ton travail. Si ta musique vient du cœur, elle sera meilleure."
Je pense que c'est très vrai. Je suis encore jeune, donc je prends le temps de grandir, j'apprends à canaliser mon talent.
En dépit de la résurgence de la musique conscious, la violence en Jamaïque continue de croître… Qu'est-ce qui ne va pas ? J'essaie de jouer un rôle pour calmer les choses, en parlant aux enfants et en chantant de bonnes chansons. Mais en même temps, quand les gens ont faim, que la pauvreté est partout et qu'ils n'ont pas d'éducation positive…C'est l'autre face de tous les problèmes qui de la Jamaïque. Le gouvernement doit essayer et donner plus d'opportunités aux jeunes, leur donner une chance d'aller à l'université mais avec un bon emploi à la clé. Parce qu'à l'heure actuelle, tu vois beaucoup de jeunes passer sept ans à l'université pour finalement se retrouver sans emploi. Ils ont des enfants à nourrir et à envoyer à l'école, des factures à payer… tout cela provoque une gigantesque frustration. C'est difficile pour les gens de garder la foi et de faire confiance à Jah, et il cède à la violence. La pauvreté et l'illettrisme engendrent la violence et le crime.
Penses-tu que c'est la faute du gouvernement ? Pas complètement. On doit "faire feu" sur le gouvernement mais je ne les blâme pas complètement, car les gens doivent changer aussi. Par leurs actions, ils doivent eux aussi assumer certains reproches et une part de responsabilité. Mais le gouvernement est supposé diriger le pays, et être pour les gens un exemple à suivre. Ce n'est pas complètement de sa faute parce que beaucoup de gens veulent l'argent facile, sans passer par un long et dur labeur.
Ta foi Rasta est primordiale pour toi, et se ressent tout au long de ton album… Je suis Rasta, et je pense que différents éléments peuvent provoquer beaucoup de divisions entre les gens. Je ne spécifie pas si je suis Boboshanti, Nyabinghi, Orthodoxe ou des Twleve Tribes of Israel… je suis Rastafarien, point. Je suis les enseignements de Sa Majesté, et les enseignements de la Bible. La religion est un choix personnel, c'est propre à chacun. Moi, je suis juste Rasta. Tu vois la chanson Freedom sur le nouvel album, c'est exactement pour ça que je l'ai écrite. Tout le monde devrait avoir le droit d'être libre, avoir la liberté d'expression et d'adorer qui il veut. Si quelqu'un veut louer le soleil ou la lune, c'est son choix, pareil s'il veut louer Allah, Jésus ou Haile Selassie. Tout le monde devrait avoir ce droit. La religion a causé beaucoup de guerres, le monde a besoin de plus de tolérance pour y mettre fin.
Il y a aussi une bonne "ganja tune"… Le morceau Meditate, sur le Kutchie Riddim… Beaucoup de gens fument l'herbe pour la hype, le style, et en abuse. Mais le rasta peut leur montrer la véritable signification de l'herbe. C'est un sacrement, et il faut s'en servir pour mener une méditation constructive pour progresser, s'élever. Certains s'assoient et fument dix spliffs par jour, pour moi c'est de l'abus. Quoique tu fasses, si tu le fais trop, ça devient de l'abus parce que ça peut nuire à ta santé, si tu fumes trop, manges trop, bois trop… même trop de sexe peut être dangereux ! Il faut trouver un équilibre. Il ne faut pas trop parler non plus. Toute chose devrait être équilibrée et faite pour une bonne raison, quand c'est nécessaire.
Tu as travaillé avec différents producteurs, avec qui aimes-tu le plus travailler ? Il y a une une bonne alchimie entre Calibud et moi. Il est le principal producteur avec qui j'ai travaillé. En tant que fils de Bobby Digital, il a un bon pedigree. J'ai aussi travaillé avec Donovan Germaine à Penthouse, Cocoa Tea, et Lion Paw qui a produit "Virtuous Woman"… Environ six producteurs différents. Toute la musique est produite avec un groupe live et des musiciens compétents : Dean Fraser, Sly & Robbie… Ils comptent parmi les meilleurs de l'île, et je pense que tu peux vraiment entendre la qualité de la musique.
Comment as-tu développé ton style ? Quand j'étais au lycée, j'étais vraiment fan de Bounty Killer. Avec un pote, Little Backs, on chantait comme lui, dans un style hardcore. Avec le temps, j'ai évolué vers le style de chant que j'ai maintenant. C'était un changement naturel. Quand je suis allé voir Calibud pour la première fois, c'était dans le but d'enregistrer sur un riddim dancehall. Mais pour une raison que j'ignore, il n'a pas voulu, et m'a mis un riddim one drop, celui de Empress So Divine, c'était la première fois que je chantais sur un riddim comme ça. Il m'a dit : "C'est comme ça que tu devrais chanter", et depuis ce jour c'est comme cela que je chante.
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