INTERVIEW :
Interview et photos : Benoit Collin
le vendredi 05 mai 2006 - 20 501 vues
Après avoir multiplié derrière le micro et même devant la caméra, Admiral T revient avec un nouvel album très attendu, "Toucher l'horizon" sorti il y quelques jours. Insatiable, le chef de file du dancehall francophone a également entamé une tournée le ... qui sera ponctuée par un concert sur la scène de l'Olympia à Paris. Rencontre avec le plus sérieux de nos représentants dancehall.
Reggaefrance / Trois années et une signature chez AZ se sont passées après ton premier album. Tu peux nous parler de cette période ? / J’ai fait pas mal de choses. Il y a eu le film "Nèg Maron", qui est resté pas mal de temps à l’affiche en France, aux Antilles et en Guyane. J’ai eu une petite période de break pendant laquelle j’ai eu mes enfants. Et puis il y a eu l’album de Saël, sur lequel j’ai fait le morceau Met nous à l’aise. J’ai travaillé avec Dominique Coco avec le KSS, sur leur compilation à l’occasion de la commémoration de l’abolition de l’esclavage (Caribbean Sessions, ndlr). J’ai eu plein de projets, en fait. J’ai fait un morceau sur une compilation pour sensibiliser les gens sur le fléau du Sida, Unisson…
Tu ne t’es pas vraiment reposé… (Rires) Non pas vraiment. Avec les enfants et le métier, on ne peut pas dire que je me sois reposé.
Est-ce que ça a changé quelque chose en termes de liberté artistique de travailler avec AZ, ou tu leur a amené un produit fini ? C’est un produit fini, puisque c’est une licence. Donc j’ai conservé ma liberté artistique. Moi je préfère comme ça. De toutes façons, pour eux, quand ils ont signé la signé la licence, j’avais déjà un parcours en indépendant, avec Don Miguel. On a pu amener un produit fini. Comme pour tous les artistes qui sont signés en licence, tu signes chez une major pour pleins de raisons : plus de moyens financiers, la possibilité d’atteindre certains médias hors de portée jusqu’alors, comme les télés.
Tu t’es entouré de plusieurs producteurs, certains que l’on connaît bien, d’autres un peu moins. Comment as-tu fait tes choix ? Mes choix se sont faits par rapport à la qualité des sons. On me pose souvent cette question, mais je ne travaille pas spécialement avec les plus gros producteurs. Je travaille aussi avec de petits compositeurs que l’on ne connaît pas, qui débutent mais qui ont un bon son. A partir du moment où je sens le truc, j’y vais. J’ai travaillé avec Phantom, qui n’est pas connu, il est très underground.
Il y aussi Bost & Bim, Blastar, Stanisky… Blastar, ce sont des jeunots qui débutent. On a fait sept morceaux ensemble, la moitié de l’album (rires). Il y a eu aussi DJ Chin, qui travaille plus ici en France, Chris Allman qui vient de Barbade, qui est déjà plus connu. Il y a à la fois des gens connus et inconnus.
Comment travailles-tu avec les producteurs, tu leur donnes un thème, tu t’adaptes aux instrus, vous bossez côte à côte ? Un peu tout ça à la fois. Disons qu’on travaille des choses ensemble. Avec Scorblaz, ça été comme ça, je leur ai donné mes idées, mes thèmes. On a fait ça à distance parce qu’il était à Paris et moi en Guadeloupe, donc c’était un peu difficile de travailler réellement ensemble, comme avec Phantom.
J’ai travaillé comme ça avec les producteurs que je ne pouvais pas rencontrer physiquement. J’ai fait envoyer des riddims, et sur ceux qui me plaisaient j’ai écrit des textes. Avec Chris Allman je suis allé à la Barbade travailler avec lui réellement. Ca dépend de la vibe quoi.
Tu as fait un très bon morceau avec Special Delivery, Mizik, on est étonné de ne pas le trouver sur l’album… J’ai fait ça à un moment donné. Pour l’album, je travaille dans une certaine direction. J’aime que ce j’écris pour l’album ne puisse s’écouter que sur l’album, et pas ailleurs.
C’était ma question suivante : quand tu travailles sur un album, est-ce que tu mènes une réflexion globale, ou chaque morceau est fait indépendamment ? Ca dépend. Je cherche à travailler globalement mais je laisse aussi parler l’inspiration. Si je sens que je dois écrire sur tel ou tel thème, je le fais, et ensuite je regarde par rapport à l’ensemble. Je m’interroge sur le concept de l’album. Il y a deux façons de travailler.
Tu abordes des thèmes différents sur l’album : la musique, la Guadeloupe avec le retour au pays natal, les quartiers, le temps qui passe… C’est par rapport à l’inspiration. Par exemple, j’étais ici quand j’ai écrit le morceau avec Diam’s. Il y avait ces problèmes dans les banlieues, les émeutes, et je voulais écrire dessus. Moi je ne suis pas originaire des banlieues, mais je suis quand même un enfant du ghetto, un peu considéré comme un marginal. On partage les mêmes réalités en parallèle. J’ai voulu vraiment collaborer avec Diams pour en avoir en parallèle la vision du gars du ghetto de Guadeloupe et celle de la banlieusarde. Pour parler du malaise des jeunes, de la condition dans laquelle certaines personnes vivent. Et leur donner la force, pour dire que même si le gouvernement en place n’aide pas ces gens-là, il faut rester ambitieux, essayer d’aller le plus loin possible, de toucher l’horizon. Et ce quelque soit les domaines.
Le choix de bosser avec Rohff et Diams, c’est pour toucher le plus grand nombre ? Moi quand je viens ici, j’écoute beaucoup de hip hop. Je disais ça à ma femme il y a quelques jours : c’est vraiment quand je retourne en Guadeloupe que je me rends compte qu’en France, je baigne dans l’univers hip hop. Même si le dancehall est toujours là, quand je suis ici, j’écoute vraiment beaucoup de hip hop. J’aime comme les artistes écrivent leurs textes. Diam’s et Rohff sont deux artistes que j’aime bien. J’ai voulu apporter un élargissement dans ma musique, poser un texte sur une instru hip hop pour voir ce que ça donne. Essayer, quoi.
Un grand nombre de tes fans t’ont rejoint avant ton premier album, notamment avec des morceaux comme Battyboy dead. Est-ce qu’aujourd’hui tu rechanterais un texte comme celui-là ? Batty Boy dead était un morceau très populaire, les gens l’ont beaucoup aimé. J’ai eu aussi pas mal de retours de gens qui me disaient que le titre était violent. Moi j’ai toujours été très authentique. Je suis contre l’homosexualité, mais chacun fait ce qu’il veut. Ce morceau, je l’ai écrit dans l’univers dancehall. Dans cet univers-là, on dit qu’on va brûler un sound boy par exemple, mais c’est juste « lyrical », dans les textes, personne ne va brûler personne. Mais après avoir vu à la télévision que des gens ont véritablement brûlé des homosexuels, je me suis dit que ceux qui ne connaissent pas l’univers dancehall prennent ces textes au premier degré. Maintenant, je fais plus attention à ce que je dis, même si j’ai mes convictions, je fais attention à comment je vais les dire.
Tu as pâti aussi de la polémique l’année dernière, avec l’annulation du Garance où tu étais programmé. Maintenant que tu es chez Universal, tu as modéré tes propos, c’est dû à une évolution personnelle ou à des consignes ? Non pas spécialement. Ca dépend ce que tu entends par « modérer mes propos ». Je suis quelqu’un d’authentique, ce que j’ai à dire, je le dis. Tous les thèmes que j’aborde sont assez engagés et je ne me gêne pas pour dire les choses. Au niveau artistique, Universal n’a eu qu’à valider ou non notre projet. On est arrivé avec un produit fini, ils aiment ou ils n’aiment pas. Là, ils ont aimé.
Aujourd’hui, tu te considères comme un artiste accompli ? Pour moi, on n’est jamais accompli, peu importe le domaine. Tant qu’on est en vie, il faut essayer d’aller plus loin. C’est pour ça que l’album s’appelle « Toucher l’horizon ».
Comment te projettes-tu dans le futur, quels sont tes projets ? Toucher l’horizon… (rires) C’est imagé, mais par rapport à cet album-là j’aurais aimé aller plus loin avec ma musique, qui est une musique dite « culturelle ». On est à l’heure d’Internet, et je trouve anormal qu’il y ait la suprématie d’une culture. Pour moi toutes les cultures sont riches. J’ai envie que ma culture antillaise aille plus loin, que les gens la connaissent. Quand je fais des combinaisons avec TOK, ou avec Diam’s… qu’est-ce qui fait ma force ? On partage quelque chose ensemble, j’amène mon identité, ma culture… Et eux-mêmes ont la leur. On partage quelque chose et c’est que j’ai envie de faire. Aller plus loin avec mon identité, le plus loin possible.
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