INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : DR
le mercredi 06 juin 2007 - 27 480 vues
Takana Zion avait deux projets d'albums avec Tiken Jah Fakoly, restés dans les cartons, avant de rejoindre Manjul dans son Humble Ark à Bamako. Il signe avec lui son premier véritable album "Zion Prophet", chez Makafresh, qui sortira début juin. L'occasion de faire plus ample connaissance avec ce jeune artiste Guinéen.
Reggaefrance / Comment passe-t-on du rap au reggae ? Ce sont deux genres fondamentalement opposés. / En Guinée, j'étais dans le rap mais aussi dans le ragga. Quand j'ai trouvé mon identité spirituelle Rastafari, je me suis dit qu'il fallait que je me tourne vers le reggae, qui est le meilleur moyen pour exprimer mon message. Le reggae est plus sage dans la façon de s'exprimer. Le rap est plus jeune, brut, à l'image du dancehall. Le reggae te parle d'Histoire, qui est enseignée de manière un peu floue à l'école. Le reggae a beaucoup plus d'ouverture, et t'apprend à te connaître. C'est pourquoi j'utilise le reggae pour diffuser mes messages.
Qui considères-tu comme ton influence principale ? Peter Tosh m'a beaucoup influencé à cause de son message politique. C'est un homme qui a beaucoup fait pour le mouvement rasta. A travers les différents thèmes qu'il a abordé, l'égalité et la justice. C'est vrai qu'on ne peut pas rêver d'un monde de paix sans égalité et justice. Il a beaucoup revisité les mots en anglais. Il a transformé "oppressor" en "downpressor". C'est un monsieur qui s'est beaucoup battu. Dans la période récente, c'est Sizzla Kalonji qui est ma principale influence.
Dans Conakry, tu évoques ton pays natal, qu'est-ce qui t'a poussé à le quitter ? C'est la situation socio-politique et économique qui m'a poussé à quitter le pays. Je me doutais qu'il restait peu de temps avant que ça pète : il y avait la famine, pas de travail, beaucoup de violence. Le système éducatif est foutu : il n'y a pas d'avenir certain même pour les enfants qui vont à l'école. Je me suis dit que si je voulais réussir dans le milieu musical, il fallait sortir de là. Ce n'est pas facile d'y vivre.
Le président de la République est un général. Maintenant, on a la chance d'avoir un nouveau gouvernement avec des gens qui n'ont jamais travaillé dans le gouvernement de Lansana Conté (au pouvoir depuis le 4 avril 1984 après un coup d’état militaire, puis réélu successivement en 1993, 1999 et 2004, ndlr). Je pense qu'il y a un peu d'espoir dans le cœur des gens. Ils attendent beaucoup de ce nouveau gouvernement. Il y a eu beaucoup de morts. C'est ce dont je parle sur le morceau E oulé fu : les jeunes qui ont été tués en Guinée lors des grèves et des manifestations.
Tu chantes en Soussou, en Français et en Anglais. Pourquoi tant de langues ? C'est important pour moi parce que le message que je porte est universel. Les mêmes problèmes se passent aujourd'hui dans tous les pays. C'est bien de chanter dans des langues différentes pour que les gens se sentent concernés. L'Anglais est la langue la plus parlée dans le monde, le Français est beaucoup pratiqué dans l'Afrique de l'Ouest, et le Soussou est la langue de la Guinée, tout le monde la parle là-bas. Je chante aussi en Malinké, qui est beaucoup parlée en Afrique de l'Ouest. A travers ces langues, je peux toucher différentes ethnies, différents peuples, différentes cultures.
Tu as réalisé l'album avec Manjul, comment l'as-tu rencontré ? La première fois que Tiken Jah a écouté mon son, il avait pensé à Manjul. Mais on s'est seulement rencontrés lors d'une session nyahbinghi, à l'occasion de la commémoration de l'anniversaire de Bob Marley, le 6 février. Il m'a beaucoup encouragé, il m'a dit qu'il fallait rester ferme et qu'alors Dieu ouvrirait les portes pour moi. Ces mots m'e sont restés dans le cœur. J'ai deux albums pour Tiken Jah Fakoly, le premier a été enregistré dans le studio de Manjul. Quand on a fait les deux albums, ça a traîné, et je n'avais plus rien à faire, puisque j'ai laissé tombé l'école. Et comme vous vous en doutez, ce n'est pas facile de survivre en Afrique avec la musique. Je suis donc parti au Ghana suivre des cours d'anglais. Quand je suis revenu, l'album ne sortait toujours pas, et j'avais envie de m'occuper. Je chante tout le temps et je vis de la musique. J'ai donc décidé de faire un troisième album. J'ai demandé son accord à Tiken, et je suis parti enregistrer avec Manjul. On a le même esprit, on s'est beaucoup écouté.
Que retiens-tu de ton travail avec lui ? Ce qui m'a touché chez Manjul c'est sa personnalité. C'est quelqu'un qui est très doué. En Afrique peu de gens font le même travail que lui. Je suis allé au Burkina, au Ghana, en Guinée et au Sénégal, et je n'ai pas vu un studio comme le sien. Manjul joue des instruments, il fait du live. Tout le monde ne propose pas ça aux artistes, des riddims aussi bien faits. En Afrique, les gens utilisent le digital. Manjul vient avec ses influences jamaïcaines, européennes, et africaines. Tout ça fait une couleur reggae différente de celle qu'on a connu en Côte d'Ivoire depuis Alpha Blondy jusqu'à Tiken Jah Fakoly. Le studio de Manjul est un pilier en Afrique de l'Ouest. Je vous le dis, tous les jeunes vont passer par ce studio là pour se faire connaître internationalement. Des studios comme cela sont rares en Afrique. Moi je n'en avais jamais vu.
Tu as déjà d'autres projets ? J'ai un projet de compilation avec des artistes guinéens, produits par Manjul. On est venus pour travailler. En Afrique, il y a plus de faire qu'à dire. Il faut pousser les gens au travail, parce que c'est le travail collectif qui va amener le développement. Il faut responsabiliser les jeunes. Tous les jeunes comptent sur les vieux, et ça ne peut pas continuer comme ça. Le peuple compte sur les leaders et il faut que chacun apprenne à s'assumer pour qu'on aille de l'avant.
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