INTERVIEW :
Propos recueillis par : Alexandre Tonus & Sébastien Jobart
Photos : Benoit Collin
le mardi 20 novembre 2007 - 9 019 vues
Il a tout appris, ou presque, avec Elephant Man mais c'est sous l'aile de Shaggy et de son label Big Yard que Kiprich aura finalement rencontré le succès. En 2005, le feuilleton Telephone Ting suivi de The Letter, en réponse à Lady G, l'établit sur le devant de la scène, mais ne fait que confirmer tout le bien qu'on pensait du bonhomme et de sa plume depuis Leggo Di Bwoy en 1999 et même Imagine Dis avant ça. Après un premier album particulièrement réussi, "Outta Road", sorti en 2005, Kiprich est en train de mettre la dernière main à son deuxième album. L'occasion de faire le point sur une carrière pas si jeune.
Reggaefrance / Tu viens de Waterhouse, c'est un quartier qui a vu grandir de nombreux talents. / Oui, beaucoup de talents. Beenie Man, par exemple vient de là-bas. Et juste à côté de Waterhouse, il y a Seaview, d'où viennent Bounty Killer, Elephant Man, Shabba Ranks, Nitty Kutchie…
Ton premier nom de scène était Crazy Kid. Oui, ça date de l'école. Mais quand j'ai fait Leggo Di Bwoy, mon premier hit, je n'avais même pas réfléchi à quel nom je choisirai. Si tu regardes bien, sur le clip, tu vois deux noms : Kiprich et Crazy Kid. Après ça, on a travaillé sur le nom de Kiprich. Ca vient de "keep rich" (rester riche, ndlr). C'est mon roadie, celui qui s'occupe de moi sur la route, qui l'a trouvé.
C'est avec Jack Scorpio que tu as fait tes premiers pas dans le business. C'était à l'époque où j'étais à l'école. J'étudiais la journée et je bossais pour lui le soir. On traînait devant le studio, en attendant de pouvoir y entrer et enregistrer quelque chose. J'ai passé beaucoup de temps là-bas.
Quand as-tu franchi le pas ? Après avoir fini l'école, je suis parti en Angleterre, pendant deux ans, avant de revenir en Jamaïque. Je suis allé voir Freddie McGregor dans son studio, Big Ship, avec Chico. Vegas était là-bas, en train de faire des dubplates pour Tony Matterhorn. J'ai dit à Tony que voulais enregistrer une dubplate pour lui, et il a accepté. Quand je suis me suis retrouvé dans le studio, tout le monde était impressionné par mes paroles. On a échangé nos numéros avec l'ingénieur, Paul Castick. C'est lui qui m'a donné le riddim sur lequel j'ai chanté Leggo Di Bwoy.
Tony Matterhorn joue toujours ton dubplate ? Je ne sais pas s'il le joue encore, mais il peut en effet mettre ça en avant. C'était le premier à m'avoir en dubplate.
D'où te vient ce goût pour la musique ? Depuis que je suis tout petit, la musique est ma passion depuis mon plus jeune âge. J'écoutais Buju Banton, Shabba Ranks, et je chantais mes propres paroles sur leurs chansons. Quand je suis allé au lycée, j'ai commencé à écrire beaucoup de poèmes. C'est là que j'ai réalisé que j'avais un esprit créatif, que je pouvais raconter une histoire dans une chanson. C'est là que j'ai véritablement commencé à écrire mes propres chansons. J'ai fait ça tout seul, sans personne, c'est juste ma vibe, ma passion.
Revenons à Leggo Di Bwoy… J'ai enregistré cette chanson à la fin de 1998. La chanson est sortie en 1999. C'est une chanson pour les femmes. Si une femme n'est pas respectée, traitée décemment par son homme, elle doit s'affranchir et suivre sa route.
Tu as été signé sur le label Main Street. Ca a duré très peu de temps. J'ai signé à l'époque où Danny Brownie, le boss du label, a décidé de passer d'une vibe dancehall à une vibe chrétienne. C'est là qu'on a décidé de se séparer.
Avec tes paroles humoristiques, on sent encore cette approche Main Street. Cette vibe est la mienne, ça n'a rien à voir avec Main Street. D'autant plus que je n'y suis pas resté longtemps.
On retrouve quand même chez toi le même esprit que chez Goofy, l'idée de divertissement par les mots… Yeah, tu vois, pour apprécier ce que je fais, je dois savoir que cela plaît aux gens. Si j'écris une chanson qui parle d'exploser la tête, de faire mal, etc, je ne peux pas l'apprécier, parce qu'on ne rit pas à l'écoute de ce genre de textes. Je suis une personne joviale. J'essaie d'écrire des paroles amusantes, de divertir par l'humour.
En parlant de divertissement, tu as beaucoup chanté avec Elephant Man. J'ai gagné beaucoup d'expérience à ses côtés. On voyageait ensemble de ville en ville, en enregistrant sur un DAT. J'ai beaucoup appris avec lui.
C'est difficile de se lier d'amitié dans ce business ? La plupart du temps, tu vois des artistes essayer de tirer d'autres artistes vers le bas, de façon a ce que eux aillent vers le haut. Dans ce contexte, il est donc difficile de nouer des liens d'amitié réelle. Certains essaient de conserver le contrôle de ce business pour eux seuls. Cette industrie est pourtant suffisamment importante pour que tout le monde puisse faire son truc. Je ne vois pas pourquoi les artistes devraient se déchirer. Pourquoi ne pas supporter un artiste qui est à son meilleur niveau ?
Les querelles entre artistes ne manquent pas, dernièrement on a vu des clashs sérieux entre Mavado et Kartel, Busy Signal et Aidonia, ou plus récemment Capleton et Norrisman… Le clash n'a rien de mauvais en soi tant que tu le gardes à un niveau positif. Quand tu fais en sorte que les gens sachent qu'il s'agit de divertissement. La plupart de ces artistes qui parlent de gangsters, de badman, n'en sont pas ! Ils n'ont pas grandi comme ça, ce ne sont pas des badmen. Mais ils ont une image qui nourrit leurs chansons, et qu'ils travaillent. Mais quand on en vient aux mains, c'est seulement de la stupidité. Il faut savoir en rester aux mots, et ne pas transformer ça en histoire personnelle. Pourquoi le font-ils ? Pour se créer une hype. Ils ne regardent pas en dehors du business, ils ne voient pas que les gens ont cessé de le prendre comme un divertissement, et qu'ils sont effectivement en train de se tirer dessus, uniquement à cause de ce qu'ils disent et de la manière dont ils se comportent. Eux ne le font que pour gagner de l'argent, mais les conséquences sont dangereuses. En soi, il n'y a rien de mal à développer une imagerie guerrière, tant que les gens savent que ce n'est que du divertissement. Rien de personnel. On peut s'embrouiller sur scène, avec nos textes, et se serrer la main en backstage.
Avec Telephone Ting et The Letter, tu as toi-même versé dans ces clashs par chanson interposée. J'ai enregistré ma chanson, et puis Lady G a enregistré sa counteract. Je suis retourné en studio pour refaire un morceau, The Letter
Tu as trouvé l'inspiration dans le titre de Lady G ? Non, j'y avais déjà pensé avant. Mais entre The Letter et Telephone Ting, finalement, je ne counteract pas seulement Lady G, mais aussi moi-même…
Comment as-tu vécu le succès de Telephone Ting ? Telephone Ting a eu un impact énorme sur ma carrière. C'est la chanson qui m'a fait émerger en tant qu'artiste solo. Parce que les gens avaient l'habitude de me voir avec Elephant Man. Tu venais voir Elephant, tu voyais Kiprich. Telephone Ting m'a libéré de ça. Elle m'a fait franchir une nouvelle étape de ma carrière.
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