INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : DR
le lundi 11 mai 2009 - 16 193 vues
On prend les mêmes et on recommence : fort du succès de "Zion Prophet", son premier album réalisé avec Manjul, Takana Zion est de retour avec "Rappel à l’ordre", son deuxième album chez Makasound qui produit cette fois le projet.
Reggaefrance / Tu es de retour avec un nouvel album, comment est-il né ? / Cet album est le fruit de la collaboration avec Manjul et Makasound. Après "Zion Prophet" et les concerts qui ont suivi, on a jugé nécessaire de faire un autre travail, qui serait produit par Makasound. L'idée c'était qu'il y ait un plus investissement dessus, car si Manjul et moi avions fait du bon travail sur le premier, on était quelque part limité. Cette fois, plus de personnes ont participé au projet, c'est une bonne énergie. C'est la continuité du travail de "Zion Prophet" mais je trouve que "Rappel à l'ordre" est beaucoup plus roots. L'album est intégralement chanté, il n'y a pas de phases deejay. J'ai essayé de montrer aux gens qu'on peut faire comme les autres, on a aussi notre culture. On peut faire la symbiose des cultures pour toucher le maximum de gens.
A qui s'adresse ce rappel à l'ordre ? Au monde entier ! Quand il y a le désordre, les petits enfants viennent pour réclamer de l'ordre. Hailé Sélassié nous a envoyé pour l'humanité pas seulement l'Afrique. Mais avant de mettre de l'ordre dans le monde il faut mettre de l'ordre dans la maison, tu vois ? C'est un rappel à l'ordre spirituel, historique, donc culturel. Le morceau Rendez à César parle de l'origine de l'origine des pyramides, du rôle qu'ont joué les Noirs dans la civilisation, en sciences, en physique, en chimie… On a beaucoup apporté à l'humanité, je fais partie de cette génération africaine qui est consciente de cette réalité-là.
Le morceau Sekou Ko non rappelle l'indépendance de la Guinée en 1958, quand le président Sekou Touré a déclaré à De Gaulle que nous préférions la liberté dans la pauvreté à l'opulence de l'esclavage. Cela montre le visage des pays du Tiers-Monde, et leur volonté d'être libre. Ils ont besoin d'être entendu, notre point de vue doit être pris en compte dans les décisions mondiales. Les armes nucléaires on n'en veut pas. Equal rights & justice !
Jeune fille parle de l'éducation de la femme. Si un homme est pourri, lui seul est perdu. Tandis que si une femme n'a pas une bonne éducation, elle empoisonne la société, parce qu'elle va mettre au monde des enfants qu'elle ne pourra pas bien éduquer, qui vont contaminer d'autres enfants, et c'est comme ça que ça infecte. C'est ce genre de rappel à l'ordre. Il y a beaucoup d'amour dans cet album, d'énergie positive.
Dans Rendez à César tu dis "l'esclavage est encore plus fort aujourd'hui qu'avant". L'esclavage est encore plus présent aujourd'hui. Les gens n'ont pas de chaînes mais ils sont attachés dans l'esprit comme disait Bob Marley. Takana Zion est le symbole d'une jeunesse africaine qui n'est pas prête à s'agenouiller devant qui que ce soit. On veut coopérer avec les gens, avec un maximum de love, de respect et de justice. Je pense que ma collaboration avec Manjul en est un parfait exemple. La plupart des Africains sont encore en esclavage, mais ils doivent se libérer eux-mêmes. Ce n'est pas Nicolas Sarkozy qui va libérer les gens ! Je ne fais pas non plus partie de ces Noirs qui pensent que Barack Obama va sauver le monde entier. Cet album est aussi un appel à une certaine fierté raciale, pour que les gens aient confiance en eux, parce que Babylone a tué la confiance en nous ! Je veux parler de ces maîtres blancs qui ont organisé toute cette mafia dans le monde entier pour mettre les gens en esclavage, et à chaque fois faire des réformes. Si ce n'est pas le féodalisme, c'est l'esclavage, puis le colonialisme, la mondialisation…
On va rester à dénoncer ces choses tout le temps. Même si on ne vient pas le pointer directement, on fait en sorte que quand on chante, les enfants aient une certaine fierté. C'est plus important que tout, parce qu'on n'est pas venu pour combattre des individus, mais le mal en général, en Afrique et ailleurs.
Et en Guinée ? Mon pays la Guinée est trop en arrière plan. Par rapport aux autres colonies françaises, on parle très peu de la Guinée, par rapport à la Côte d'Ivoire, au Sénégal, au Mali, au Bénin. Après que Sekou Touré a dit non à la France, et qu'on a demandé des livres, on en recevait très peu. Ca a joué sur l'éducation de beaucoup de générations en Guinée. Malgré cela les gens ont la volonté de s'exprimer… C'est un peuple qui est prêt, il faut juste le laver un peu, enseigner avec les mots, le son et le pouvoir et le mettre au-dessus de ses faiblesses. C'est comme si on était devenu fainéants. On a beaucoup travaillé pour les autres, maintenant il faut travailler pour nous-mêmes !
En Guinée, Lansana Conté est décédé en décembre 2008 après 25 ans de pouvoir. La Guinée est un pays très spécial. Les chefs qui sont tombés là-bas étaient prévus dans le plan divin, ils sont choisis par Jah pour le pays. Sekou Touré n'a pas dit de lui-même non, c'est tout le peuple guinéen qui était avec lui, ils ont voté non. Il était le symbole, le réel représentant de son peuple, de sa dignité. Lansana Conté, aussi. C'est un militaire, il est arrivé quand il y avait beaucoup de problèmes dans la sous-région. Jah a fait que la Guinée s'est sortie de tout cela, lorsqu'elle a été victime des attaques rebelles. Même s'il y a eu un laisser-aller économique qui a provoqué un chaos…
Tu veux parler de la grève générale de 2007. Oui, mais tu seras surpris d'apprendre que quand Lansana Conté est mort, le peuple est sorti dans la rue pour l'accompagner. Les Guinéens sont humbles et savent manifester leur mécontentement à leurs chefs, c'est un peuple rebelle. On a montré qu'on ne peut pas accepter les foutaises, même si derrière ces grèves il y avait aussi des personnes malintentionnées. Les gens voulaient que les conditions de vie changent, d'autres voulaient le départ du président, alors que des élections devaient se tenir en 2010.
On t'a vu sur scène dans une configuration acoustique, qui fonctionnait à merveille. Ca t'a donné des idées pour le studio ? Pourquoi pas ? Parce que je veux faire toutes sortes de choses. On veut surprendre l'humanité pour montrer que le Verbe, le rythme, la vie, ça vient d'Afrique ! J'ai fait une expérience acoustique avec Tiken Jah Fakoly dans son studio, avec son guitariste. C'était vraiment bien, les gens ont bien aimé. Yes I, je pense que pourrais bien faire un Takana Zion inna de yard, yeah man, pourquoi pas ?
Tu deux projets avec Tiken Jah Fakoly qui sont restés dans les cartons. Vont-ils sortir un jour ? Oui, s'il plaît à Jah. J'ai toujours de bons rapports avec Tiken Jah Fakoly. C'est mon aîné. Il ne faut pas oublier que c'est grâce à lui que je suis venu ici la première fois.
Tu parlais également d'une compilation d'artistes guinéens. On n'a pas pu la réaliser parce qu'il y a eu beaucoup de mouvements. Moi-même j'ai sorti un album uniquement en Guinée, qui s'appelle "Black Mafia" et qui a bien marché, on a rempli le stade en septembre dernier. C'est bien que les Français soient au courant de ce que je fais en Afrique. On a un peu traîné mais je pense qu'on va pouvoir réaliser cette compilation parce qu'il y a beaucoup de talents en Guinée, beaucoup de potentiel. Comme la terre, les hommes sont riches là-bas.
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