Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : FX Rougeot
le mercredi 10 octobre 2012 - 23 152 vues
Quinze ans après, Raggasonic est bel et bien de retour. Après plus de deux ans de scènes, Big Red et Mory sortent un troisième album siglé R-Sonic, dans la droite ligne des deux premiers. Probablement la galette la plus attendue cette année... Disponible le 15 octobre, "Raggasonic 3" sera suivi d'une longue tournée dans "les petits bleds", comme à l'époque. "Les gens s'en souviennent encore, souffle Big Red, on était les seuls à être passés dans leur ville." Et puis aussi "une armée de remixs", nous prévient-il.
Quand on les retrouve pour discuter autour de ce nouvel album, c'est comme s'ils ne s'étaient jamais quittés. Quinze ans après, Big Red et Daddy Mory n'ont pas tellement changé : verbe tranchant et regard fier… En un mot : raggamuffin !
Reggaefrance / Au moment de repartir pour ce troisième album, 15 ans après, qu'aviez-vous en tête ? / Big Red : Un goût amer, d'inachevé, tu vois... Parce qu'on est parti un peu, pas comme des voleurs, mais sans prémices, sans avertir. Même nous, on est les premiers surpris. C'était comme ça, on s'est séparés naturellement et spontanément. Et on a essayé de se retrouver aussi spontanément et naturellement qu'on s'est quittés, tu vois ? NTM, ça nous a fait un petit déclic. Retrouver un certain standing à deux, parce qu'on sait qu'à deux, c'est un groupe. Ce n'est pas pareil que quand on est en solo où il nous manquait un truc. J'étais bien en solo, Mory pareil. On a fait ce qu'on avait à faire, on a tâté de l'underground, on a gardé le contact avec la scène. Mais on est quand même mieux à deux, c'est plus facile de partager sur scène, de mettre mon compère en valeur et de le voir se casser le cul pour faire pareil.
Il y a une émulation… Big Red : C'est une vieille combinaison, ça marche… Mais j'ai bien kiffé pendant 10 ans en solo. Mory, pareil. On a fait exactement ce qu'on voulait. Y'a pas eu un mois où on n'a pas taffé, grâce à Dieu.
Ca fait déjà un moment que vous re-partagez les scènes. Artistiquement parlant, pour l'album, qu'est-ce que vous vous vouliez faire ? Big Red : On voulait renouer avec le noyau dur de Raggasonic, avec la vibe essentielle, c'est-à-dire raggamuffin classique culture. Il fallait que les gens qui nous aimaient pour ça se retrouvent là-dedans. Parce que c'est ce qu'on a mis en avant quand même le plus, c'est le côté riddims classiques et flow un peu fresh à la parisienne. Il fallait que les gens se retrouvent là-dedans, plutôt que de jouer la carte 100% nouveauté, ce qu'on a grave voulu faire au départ, mais on a mis un petit frein. En fait, on va la jouer, cette carte nouveauté, mais de façon évolutive. C'est-à-dire qu'on a mis deux petits morceaux un peu qui sortent du cadre, mais il y a toute une armée de remix qui arrive. Avec des mecs de ouf, qui vont remixer des trucs de ouf, comme on a toujours eu à l'époque, où il y a eu des remixes avant : le premier album de Raggasonic, il y a eu Ainsi va la vie en ragga jungle et Bleu blanc rouge. C'est sorti en ragga jungle avant, parce qu'on habitait à Londres, qu'on faisait des soirées jungle. Après on a fait des soirées jungle à Paris avec Loïc et Gilbert de Radio Nova. On avait un sound qui s'appelait Expensive... On a toujours été à cheval, nous, sur la culture digitale. Mais notre base, c'est strictly raggamuffin. Tu connais, hein ?
 Maintenant, les fachos, c'est banalisé, ça passe sur Canal+, ça s'la raconte... 
Du coup, retravailler avec Frenchie, c'était une évidence ? Daddy Mory : Frenchie, il a amené sa couleur dans Raggasonic. On voulait retrouver ce côté-là même si on ne voulait pas non plus refaire du Raggasonic de 96. Aujourd'hui on est en 2012, on voulait avoir une couleur assez fresh. Mais notre couleur à nous.
Big Red : Il y a quand même des riddims qui sonnent bien 98. On voulait des riddims qui collaient en peu à la suite sans que ça fasse vraiment trop cliché. On voulait juste que le mec de Raggasonic s'y retrouve.
L'album est à la fois ''à l'ancienne'', avec une fin plus moderne… Big Red : Un petit peu, parce qu'il y a juste deux morceaux qui sortent un petit peu du truc…
La partie dancehall est quand même dans l'air du temps… Daddy Mory : Ça a été aussi un peu voulu, on ne voulait pas non plus sortir un album de vieillards, tu vois ce que j'veux dire ?
Big Red : Ou de conservateurs.
Daddy Mory : Voilà. On ne voulait surtout pas tomber dans ce truc-là.
Big Red : Le truc il va vivre. Déjà, là, il est vivant. Ensuite, il va vivre sur scène, parce qu'on veut leur donner une claque sur scène. Et ensuite il va revivre avec des remix de fous. On a déjà des morceaux qui sont strictly ragga qu'on a remixé en dnb step, en tout ce que tu veux, un truc vener. Ça, ça va donner un autre truc. Et puis pour ceux qui aimaient bien ce petit confort douillet de raggamuffin culture classique chez Raggasonic, c'est là, et voilà. Bon maintenant, je ne vais pas te dire que c'est notre meilleur album ou l'album du siècle. On ne sait pas. Nous, on est juste fier de ce qu'on a fait. On voulait renouer avec Raggasonic, et c'est fait.
On sent qu'il s'est passé 15 ans. Vous avez de l'expérience… Big Red : Et de la maturité, du recul.
Ça commence dès le premier titre : ''Je me souviens à l'époque, dans les soirées...'' Tout de suite, on sent que vous avez une longue histoire… Big Red : J'ai cru que t'allais dire ''on sent la nostalgie''. On a un peu de recul parce que ça fait 25 ans qu'on fait le même taf. J'ai 40 balais, Mory va les avoir. Donc voir avec 25-30 ans de recul, c'est pas rien. Ca calme, ça tempère. Bon moi, j'ai toujours la rage, plus je vieillis, moins je deviens tolérant, c'est clair. Mais par contre j'ai plus de recul, donc pour l'écriture ça peut être sympa des fois.
Cet album-là fait encore une fois le constat d'une société, et ce n'est pas très réjouissant. Le single ''Ca va clasher'', parle d'une société policière, coupée de ses jeunes. Daddy Mory : Ca clashe déjà, hein.
Big Red : On a mis ''ça va clasher'' pour ne pas être trop sombre.
Daddy Mory : Pour calmer le truc.
Ce sont les évènements de Clichy-sous-Bois qui vous ont inspiré ? Big Red : Clichy-sous-Bois, les Indignés, Londres… Plein de trucs comme ça. Ca clashe déjà. Le morceau il est cool, moi je l'aime bien. Il tempère, un peu. On dit juste ce qu'on voit, basta cosi.
Daddy Mory : La couleur de ce morceau-là me fait un peu penser à Bleu blanc rouge.
Big Red : On s'est retrouvé là-dedans, comme une carte de visite pour Raggasonic. Bleu blanc rouge, c'était un morceau qui n'était pas fait pour vendre du single, juste pour mettre une petite tarte, un petit message conscient dans la tête des gens. Là, c'est un peu moins piquant que Bleu blanc rouge, certes, mais dans le discours, on s'y retrouve.
Dans vos textes, vous parlez d'identité nationale, de racisme, de ce qui ronge la société en France. Ce n'est pas un album fait pour faire la fête… Big Red : Non. Avant, on aimait bien faire la fête avec un parfum de rébellion et de conscience.
Daddy Mory : Ça s'est perdu ça, un petit peu. Les gens ont perdu ce côté-là.
On a l'impression que le militantisme dans le reggae se perd un peu… Big Red : Tu le sens, les gars qui disent ''me no eat pussy'', c'est les premiers à en manger. Et quand tu fais des albums sur les battyman, c'est que quelque part, t'en rêve un petit peu la nuit… En psychologie, ça veut dire beaucoup. Mais c'est vrai, le reggae, en 10 ans, il a pris cher. Avec leur new-roots de merde. Avec leur connerie de dancehall, il a pris super cher. Mais heureusement, il y a eu du Junior Gong, des choses comme ça qui sont arrivées, qui ont redonné espoir à des MC raggamuffin comme nous.
Vybz Kartel, ça vous inspire, quoi, par exemple ? Daddy Mory : Il peut écrire des lyrics conscients. Il en a, comme Bad Reputation… Mais c'est un businessman. Quand t'es trop business, tu perds de la magie artistique.
Big Red : Parle-nous du come-back de Shabba Ranks ! Parle-nous de Ninjaman qui sort de prison, parle-nous de vrais trucs. Parle-nous de Buju ! Mais pas de Kartel… Je ne sais pas quoi te dire moi… Junior Gong ! Rien à foutre du reste ! Pour moi, il n'y a que lui qui représente la vibe que j'aime. Ils ont montré qu'au 21e siècle, ce n'était pas mort. Et ça fait bien plaisir. L'album avec Nas (''Distant Relatives'', ndlr), c'est une bonne combinaison, parce que ce qu'ils ont mis en priorité dans cette combinaison, c'est l'authenticité, en fait. Nas est aussi un super lyriciste, un des meilleurs pour certains rappeurs pro-New York. C'est bad.
C'est aussi un bel exemple d'album cross-over… Big Red : C'est pas cross-over, en fait, c'est carrément foundation. Parce que le ragga-hip-hop, depuis BDP et KRS-One avec Jamalski, c'est un vieux concept. Mad Lion, tout ça… C'est plus abouti, mais très simple, minimaliste, et super real, en fait.
Sur l'album, vous n'avez pas travaillé qu'avec Frenchie. Il y a aussi d'autres producteurs, comme Marc Animalson… Là, on rentre dans des sons plus modernes. C'était un choix de ne pas uniquement vous adresser aux trentenaires qui vous suivaient à l'époque… Big Red (il coupe) : Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Ça voudrait dire que ça s'adresse plus à un public plus jeune ?
Les gens qui vous ont suivi il y a 15 ans ont aujourd'hui 30-40 ans. Le fait d'aller vers des prods plus modernes, c'est une manière de ne pas seulement vous adresser à ces gens-là qui vous connaissaient en mode raggamuffin ? Big Red : Ou alors de s'adresser à ces gens-là, mais pas seulement en mode vieux truc. Mais j'avoue que cette prod-là, elle va parler à un public plus jeune. Ce n'était pas forcément le but, mais c'est comme ça.
Du coup, ça donne une variété à l'album. Big Red : C'est pas un truc d'anciens ?
C'est pas le dernier chapitre du Raggasonic 2, c'est un nouveau chapitre… Big Red : Ouais, on peut dire ça. Tant mieux, ça fait plaisir que tu vois ça comme ça.
Daddy Mory : C'est un compliment.
Il y a aussi Youthman, Central Massive… Big Red, ça correspond plus à ton univers… Big Red : Ouais, Central Massive a fait de la drum, du dubstep, du UK garage. J'ai bossé avec lui en 2007 sur l'album FTW. J'ai fait un paquet de soirées avec lui, c'est mon poto quoi. Ensuite y'a DJ Science qu'a fait un remix de ''Monkey Star''. C'est du dnb step un peu. Et y'a encore plein d'autres gens, genre Birdy Nam Nam, qui sont en train de remixer pour nous, de faire des trucs de fou.
Au final, combien de temps vous a pris l'enregistrement de l'album ? Daddy Mory : En fait, vu qu'on était en tournée quand on a tafé sur l'album, c'était toujours par petites tranches de trois jours. On n'a jamais fait quinze jours de studio entiers.
Big Red : D'où les annonces répétées de sortie d'album : ''C'est dans trois mois ! Mois de septembre ! Au mois d'août !''
Dès que vous êtes repartis en tournée, vous vous donc aussitôt mis sur l'album ? Daddy Mory : C'était notre projet premier. Quand on s'est vus, on s'est dit : ''allez, on va en studio direct, on enchaîne un album.'' Mais on nous a dit de faire d'abord une tournée, que ce serait mieux de ratisser le terrain avant.
Big Red : Bon, là, ça fait deux ans qu'on est sur le set du come-back, ça commence à fatiguer un peu. Les gens sont toujours là, mais bon, ça va, faut pas abuser. Donc là, à la sortie de l'album, on enchaîne un nouveau set.
En ce qui concerne vos textes, n'est-ce pas un peu déprimant, à un moment, de dénoncer toujours les mêmes choses ? Big Red : Ca dépend de l'intonation que tu prends. Si tu fais ''ouais, les keufs, ta mère la p*te, mon équipe et moi, bla bla'', tu te suicides. Si tu mets un peu de mélodie et que tu respectes le riddim, y'a pas de souci. Tu peux dire ce que tu veux. C'est l'avantage du reggae music : une mélodie qu'est douce, avec des paroles sèches.
Certes, mais moralement, il y a 15 ans, vous chantiez contre le FN. Et 15 ans après, il faut encore chanter contre le FN… Big Red : 15 ans après, ce n'est même pas contre le FN, c'est contre le nazisme. Parce que là, ils sont allés chercher les parents en situation irrégulière à la sortie des écoles, mon pote. Là, c'est Pétain, c'est 39-45. C'est pire que Giscard, c'est un truc de fou. Et maintenant, les fachos, c'est banalisé, ça passe sur Canal+, ça s'la raconte… C'est un truc de fou. Et les Zemmour, les Copé qui osent dire que ceux qui braquent, c'est que des Noirs et des Arabes ; qu'un patron a le droit de pas accepter un Noir et un Arabe. C'est banaliser le fascisme... Mais nous, on sera toujours intolérants envers ces putains de truc.
Vous avez toujours la rage ? Big Red : On est victimes du fascisme, quotidiennement. Putain on paye nos impôts depuis 1996 ! Ces connards, on les arrose. On est des contribuables. On dénonce, on est des activistes à notre façon, parce qu'on a la chance d'être au micro et de dénoncer. C'est un activisme passif, à notre manière. Mais d'un autre côté, on contribue à l'économie de ce putain de pays qui ne nous prend pas pour des Français. Ca troue le cul. Et en même temps, l'esprit communautaire, le fossé qui s'agrandit, le manque de culture dans les quartiers, tout ça, là… Le fossé est monstrueux.
En 15 ans, c'est quelque chose que vous avez vu changer ? Big Red : Oui, surtout en cinq ans, on s'est pris un coup de boost de dingue. Ça s'est aggravé en cinq ans, terriblement. C'est comme ça, qu'est-ce que tu veux que je dise ? Nous, on a la chance de pouvoir le dire en parlant au micro, c'est tout. Heureusement, sinon, je poserais des bombes. Bah oui, parce qu'une fois que t'es au courant de ce que se passe dans l'actualité, qu'est-ce que tu fais ? Moi, j'peux pas dormir, hein. Je comprends pas qu'on soit au courant de ce qui se passe et qu'on ne fasse rien. C'est un truc de fou. Certains arrivent à le faire, qui sont dans une espèce d'hypocrisie hypnotique généralisée. Moi, une fois que je sais tout ça, que je vois les infos, que je décrypte, j'ai la rage. Dieu merci, j'ai le microphone, parce que sinon… Ca, et aussi le fait que tu travailles, que t'es Français, que tu payes tes impôts depuis 20 piges, et qu'on ne prenne toujours pas pour un Français… Sur la feuille d'impôts on t'appelle ''Monsieur'', et dans la rue, on te demande si t'es Français, c'est pathétique. Ces condés qui bossent pour ma sécurité et qui me prennent pour un je-sais-quoi. Tout ça, c'est intolérable, c'est insupportable... Et je pense que je ne suis pas le seul. Ça touche tout le monde. Le capitalisme illégal, aussi, qui fait que bientôt ce ne sera plus Noir ou Blanc, mais contribuable ou pas. Trois millions de chômeurs… Quand on a commencé, il y en avait 1,2 millions… Ça fout les boules. Et on a des gosses… Donc c'est normal, mec, on réagit. Et Dieu merci on a le micro pour en parler. Tout en s'éclatant. Elle est belle quand même.
Daddy Mory : Super luxe. C'est un luxe. Pour des DJ raggamuffin, c'est le super luxe.
Comment vous vous répartissez les thèmes des chansons ? Daddy Mory : Spontanéité. On écoute l'instru. Si l'instru nous parle, on voit à peu près quel genre de sujet on pourrait mettre dessus. Ça vient tout seul, on ne se prend pas trop la tête.
Big Red : On a passé l'âge de remplir des cahiers dans notre chambre.
Daddy Mory : Maintenant, c'est au studio.
Big Red : Ouais, on se la raconte un peu ''one shot, good shot'', mais en même temps, c'est une satisfaction de poser un truc ''one shot'' et de ne pas trop revenir dessus. Ça te permet d'assumer ce que tu fais, de mettre en valeur le peu de réalisme qu'il y a dans ton flow, dans ton style, pour peu qu'il y en ait. C'est le meilleur moyen de le mettre en avant. Quand ça ne déborde pas de toi, c'est le meilleur moyen de préserver la p'tite flamme, c'est d'être le plus spontané possible.
Se mettre en danger, en fait… Big Red : Voilà. Faire confiance au premier jet qui sort, et tant pis. Respecter ce premier jet, ne pas le transformer, ne pas l'arrondir, ne pas le corriger, ne pas le formater. Surtout, essayer de ne pas le formater.

Aujourd'hui, y'a-t-il des artistes dont vous vous sentez proches, dont la trajectoire vous est familière ? Big Red : Junior Gong.
Daddy Mory : Parce que Junior Gong il est un peu comme nous, dans le sens où il est éclectique. Il fait du reggae, il peut faire du dancehall, il se pose sur du ragga-hip-hop.
Big Red : C'est urbain.
Daddy Mory : Il ne met pas sa religion rasta en avant à tout bout de champ, comme certains.
Big Red : Il ne dénigre pas les femmes, il n'a pas de paroles homophobes… Parce que quand tu viens d'une minorité, que tu fais de la musique pour une minorité, tu ne vas pas dire ''va tuer une autre minorité''. C'est quoi ce délire ? Les gays, c'est une minorité, comme nous, tu comprends ? Moi, j'ai des amis gays, garçons ou filles, je m'en bats les couilles. Et ils m'acceptent tel que je suis, et je parle librement avec eux, y'a pas de souci. J'en ai toujours eu. Nous, c'est Paris, avec tout le mix de cultures… T'étais à la Love Life Parade qu'on a fait dimanche ? T'aurais vu le public à qui on s'adresse vraiment… C'était magnifique, positif, d'une fraîcheur incroyable. Paris, c'est mortel.
Paris, c'est différent à vos yeux, quand vous tournez ? Big Red : Paris, c'est chez nous. On a tout fait ici. Nos premières armes. A 13 ans, je saignais tout Paris. En 1986, j'allais au Rex voir RLP et Dee Nasty. On a vu Mantronics là-bas. C'était deux ans avant le Globo. On n'a rien raté du Globo, on a vu Public Enemy là-bas, après on a fait le Bobineau. On a fait toutes les soirées possibles nous. Et je parle même pas des sound-systems. Paris, c'est notre putain de ville. Paris, c'est des soirées, dans un petit appart' de bourgeois, avec des acteurs, des graffeurs, des danseurs, avec un MC, un DJ. C'est ça Paris, le mélange des cultures. Ca a toujours été ça Paris.
Daddy Mory : Dans les années 90, on ne côtoyait pas que des artistes qui chantaient. On côtoyait des peintres, des acteurs…
Big Red : Ou des réalisateurs super connus aujourd'hui. Paris, culturellement parlant, c'est super riche. C'était la deuxième place du hip-hop à l'époque du hip-hop, la deuxième place du reggae, après le Japon. On a toujours été big en reggae et en hip-hop. On pèse, faut pas croire. Parce qu'on a un peu laissé les incultes prendre le contrôle du son, c'est l'industrie du disque qui voulait ça, mais on est là quand même. Et le reggae n'est pas nouveau en France, c'est le hip-hop qui est nouveau. Ma grande sœur a vu Bob Marley au Palace. Quand j'étais gamin, ma tante m'emmenait à un Sunsplash. J'ai vu Peter Tosh, Dennis Brown...
Dans 10-15 ans, vous vous voyez où ? Big Red : Dans un pot en terre cuite. Mort. Enfin, si après la mort c'est la vie, y'a pas de problème... On peut pas dire, incalculable ! (Blagueur) Si il y a encore Twitter, Mory sera toujours dessus !
Daddy Mory : Le reggae, le reggae. Tout le monde sait que le reggae c'est meilleur quand tu prends de l'âge.
Big Red : Il paraît. Tant qu'on a un peu de jus, et bah vas-y ! Nous, on est vraiment en phase avec notre passion. Maintenant, tout le monde a le même discours : ''La scène, c'est mortel !'' En fait, ils n'ont pas le choix, le disque c'est terminé. Sauf que nous, on a toujours fait de la scène. Il y a eu une petite période, je ne vais pas te mentir, où on s'est planqués derrière nos royalties, mais ça n'a pas duré longtemps. On a toujours tourné à mort, on a fait que ça, grâce à Dieu. On est passionnés, donc c'est magique. On exerce notre passion et on en vit. Ne serait-ce qu'avoir le temps de pratiquer ta passion, c'est un luxe que tout le monde ne peut pas se permettre, parce qu'il faut les payer les factures. Il y a un roulement à mettre en place. Ça nous a pris 25 balais et aujourd'hui, on est vraiment super fiers. Limite, franchement, je peux mourir demain, j'm'en fous, parce que j'ai une belle vie. Une vie raggamuffin MC, je ne peux pas rêver mieux pour moi. Et quand on voit ce que nous rendent les supporters… Elle est belle la vie !
Comme le chante Mory sur l'album… Big Red : Voilà. Ce que j'aime bien dans cette chanson, La Vie, c'est qu'on sent le recul, la maturité dans ce texte. Du coup Mory, il l'aime la vie ! Et il fait partager le truc. Ce morceau-là me plaît, parce qu'il y a un optimisme qui s'en dégage. Il te dit que la vie l'a fait souffrir, mais qu'il l'aime quand même malgré tout. Je trouve ça bien.
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