INTERVIEW : KHAGO
Propos recueillis par : Benoit Georges
Photos : Benoit Collin
le jeudi 18 octobre 2012 - 7 539 vues
Khago est une des stars du moment en Jamaïque lorsque nous le rencontrons au centre de conférences de Kingston. Son titre Tun up di ting, sur le riddim Overproof, est matraqué quotidiennement, à la télé, à la radio ou dans les dancehalls. Signe qui ne trompe pas quant à sa popularité, il est ce jour-là invité à se produire dans le cadre d’un séminaire de la banque canadienne Scottia Bank. Et il se fait également alpaguer par de nombreuses jeunes femmes pour un autographe, une photo, un numéro de téléphone… Khago chante trois titres, personnalisés pour l’occasion, devant un parterre de banquières en tailleurs et s’isole avec nous pour une première prise de contact.
Reggaefrance / Peux-tu te présenter ? / Je m’appelle Khago, aka Skywalker. Mes parents m’ont baptisé Ricardo Gayle. Je suis né à Kingston mais j’ai grandi dans les paroisses de Manchester et de St Ann. Je n’ai donc pas vraiment eu l’expérience de grandir à Kingston.
Tu avais aussi un autre surnom ''Chicago'', c’est de là que vient ton nom de scène ? Oui, j’avais ce surnom quand j’ai commencé ma carrière, mais j’ai dû en changer car il existait déjà un groupe avec ce nom. J’ai donc coupé et raccourci mon surnom pour ne garder que la fin, Khago.
Et d’où vient ton gimmick « sey so » ? C’est un petit tic que j’ai trouvé en écoutant des riddims… Il fallait que je trouve une signature qui me distingue des autres artistes. « Sey so », c’est une expression d’argot que je trouvais adaptée.
 Je ne veux pas perdre mes racines, c’est pour cela que j’ai envie de faire un album culturel. 
Quand es-tu revenu à Kingston ? J’y allais régulièrement pour rendre visite à ma soeur qui y habite. Je n’ai pas vraiment de date en tête. Dans la musique, pour que ça marche, il faut être à Kingston. Je faisais donc des allers-retours : campagne-Kingston, Kingston-campagne.
Comment as-tu développé un intérêt dans la musique ? C’est en traînant avec un ami. J’avais ce camarade qui était un peu comme l’artiste de l’école. Il avait son petit succès et je traînais avec lui car il avait plein de copines. J’étais comme mes potes Jay et Slaugther, que tu vois aujourd’hui avec moi et qui sont là pour les filles (rires). C’était ce qui m’intéressait à l’époque. Cet ami a dû partir à l’étranger, donc fini les copines et je me suis retrouvé à chanter ses chansons. Quelqu’un m’a entendu et m’a dit que j’avais une bonne voix, c’est comme cela que ça a commencé à se concrétiser.
Et c’est pour ça qu’en 2006, tu t’es inscrit au concours de chanson de la Jamaica Cultural Development Commission (JCDC) ? Oui, grâce à cette personne qui m’a dit que j’avais une belle voix. J’ai entendu parler de cette compétition et je me suis inscrit pour voir si ce qu’il disait était vrai. J’ai participé à ce concours, qui est l’un des plus importants du pays, et j’ai terminé troisième. C’est un concours sérieux, pas une émission de téléréalité, ce sont de vrais concerts, avec un vrai groupe, tu ne peux pas couper, refaire des prises ou autres. Tu dois te produire devant quelques milliers de personne, qui vont voter pour toi. Ce concours a mis en lumière des artistes comme Bob Marley, Toots Hibbert ou Beenie Man, beaucoup de très grands artistes sont passés par là. Je me suis inscrit à nouveau en 2007 et j’ai terminé second. A partir de là, tout a été très vite et j’ai décidé de faire les choses sérieusement, de manière professionnelle. Cela m’a permis de prendre contact avec beaucoup de personnalités importantes du business de la musique.
Tu as ensuite fait beaucoup de concerts dans les écoles, qu’est-ce que cela t’a apporté ? Les tournées des écoles m’ont vraiment permis de me faire connaître de la meilleure façon. Les écoliers m’aimaient bien et étaient vraiment réceptifs. On a fait la tournée des écoles jusqu’en 2009. Pendant la compétition en 2006, j’avais déjà fait une tournée des écoles dans ce cadre, c’était presque quotidien. Il y a aussi des médias et des entreprises qui organisent leurs propres tournées dans les écoles. Une fois devenu professionnel, j’ai également eu des propositions pour ces tournés.
Qu’as-tu appris de cette expérience ? J’ai appris que chacun est différent. Dans les écoles, tu découvres que chaque enfant est différent. Tu le vois quand tu vas dans les écoles et tu essayes de t’adapter à ce public. Tu ne peux pas arriver comme ça et chanter comme devant n’importe quel public, la musique que tu amènes est pour eux, il faut qu’ils s’y retrouvent. C’est aussi adapter tes chansons, pour n’avoir que les versions « clean », tu ne vas pas jurer ou dire de gros mots devant eux.
Tu as travaillé avec beaucoup de producteurs, Roach, Not Nice, Seanizzle… Avec quelle équipe travailles-tu le plus ? Seanizzle m’a vraiment fait connaître sur le riddim One day où j’ai fait Nah sell out. Justus m’a offert récemment un autre hit sur le riddim Overproof (Tun up di ting, ndlr). Je travaille aussi avec DJ Frass. Jay est mon « road manager » et on essaye de monter nos propres productions. Je travaille avec à peu près tout le monde.
Je voulais te parler de la chanson Daddy from you gone qui est un peu à part dans ton répertoire. D’habitude, je n’écris pas vraiment de chansons, mais celle-là je l’ai écrite. Je n’ai pas grandi avec mes deux parents, comme beaucoup. J’ai perdu mon père à l’âge de 7 ans et c’est un sujet profond que je voulais mettre en chanson. J’ai écris cette chanson pour tous les jeunes qui ont perdu leur père trop tôt, qu’il soit parti ou décédé. J’ai entendu le riddim et c’est venu assez naturellement. Quand tu abordes des sujets comme ça, tu dois mettre un peu de ton expérience, de ta vie dans la chanson……
Et les deux titres sur le thème Nah sell out Je n’ai pas vraiment prémédité le premier, celui où je dis « me nah sell out me friend dem ». C’est venu du riddim de Seanizzle. Je chante surtout du reggae, donc il n’a pas forcément pensé à moi au début pour chanter dessus. Mais, il m’a donné le riddim, je me rappelle l’avoir joué dans la voiture et je me suis dit : « je vais quand même essayer de chanter sur ce riddim dancehall ». Et Seanizzle m’a donné cette chance. Pour le second titre, après l’énorme succès du premier, je me suis dit que je devais aller plus en profondeur.
Ces deux morceaux ont eu un très fort écho en Jamaïque. Peux-tu expliquer pourquoi ? Quand on dit « sell out » en Jamaïque, c’est comme dire « snitch » aux Etats-Unis, ça veut dire que tu répètes des choses qui ne te concerne pas, que tu es un informateur, que tu trahis. Il y a beaucoup de vendus en Jamaïque et la plupart du temps, ce sont des amis qui trahissent d’autres amis. Tes ennemis ne peuvent pas forcément s’en prendre à toi directement, ils se servent alors de tes amis et la trahison arrive toujours de quelqu’un qui est proche de toi. Quand la chanson est sortie, il y avait plein d’exemples de ce type en Jamaïque, comme avec Buju Banton, c’était donc le bon moment.
Quels sont tes prochains projets ? J’ai envie de faire un album reggae, mais je ne sais pas si j’aurais le temps de le concrétiser cette année. C’est très chargé en ce moment. J’ai un autre titre dancehall, pour les filles, car elles sont à fond sur moi pour l’instant et elles sont responsables de mon succès. La chanson s’appelle Wine pon di pole (rires). J’ai plein de projets en ce moment. Je me concentre surtout sur le public féminin, c’est la loi du marché et je dois capitaliser sur mon succès auprès de ce public : Beenie Man a développé sa carrière avec des titres pour les filles, Vybz Kartel aussi. C’est également ce que je dois faire. Mais même quand je chante pour les femmes, mes versions sont différentes, elles sont propres. Pas besoin de les censurer ou de bipper des mots. Quand je dis « wine pon di pole » (littéralement, ''remue sur la barre'', ndlr), ce n’est pas vulgaire, à toi de l’interpréter comme tu veux, à toi de décider de quelle barre je parle. Pas besoin d’être explicite, il faut juste être suggestif. De temps en temps, il faudra aussi que je continue à brûler les jaloux et les mauvais esprits, que je dise à mes amis de marcher dans la droiture. Je ne veux pas perdre mes racines, c’est pour cela que j’ai envie de faire un album culturel. Si je viens en France, je vais voir comment est le marché là-bas et je présenterai surtout mon côté culturel. Parmi les jeunes artistes, je suis un des seuls à faire du reggae et du dancehall en même temps, avec autant de sérieux pour les deux. J’essaye d’équilibrer ces deux genres dans mon répertoire et je pense que dès cette année, je vais nourrir le public avec des titres « one drop », culturels. Mais le problème est que les djs ici ne prêtent pas vraiment attention aux titres reggae et il faut bien que je gagne ma vie.
Qui va travailler sur cet album ? Je cherche quelqu’un pour travailler dessus avec moi. Je vais bien trouver quelqu’un pour le produire car le « one drop », c’est mon meilleur côté. Mais tu peux aimer quelque chose à un moment et les gens n’en auront rien à faire. Pour l’instant, je suis catalogué comme un artiste dancehall, j’en profite, j’ai de la chance, mais j’en aurais encore plus si je pouvais sortir cet album « one drop », pour montrer dans quelle direction je souhaite aller.
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